
Démocratie et démographie, un couple explosif en europe de l’est – la chronique géopolitique de pierre haski sur france inter | terra nova
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Et si la principale menace à la démocratie en Europe centrale et orientale trouvait son origine dans l’émigration ? Attention, j’ai bien dit émigration et pas immigration, c’est-à-dire le
départ de millions de jeunes vers l’Europe de l’Ouest depuis l’ouverture des frontières. Deux études attirent l’attention sur cette question sous-estimée dans l’analyse des anciens pays
communistes, aujourd’hui membres de l’Union européenne, et dont plusieurs ont épousé des politiques dites illibérales. Le politologue bulgare Ivan Krastev, directeur d’un think tank à Sofia,
l’une des voix les plus intéressantes issues de l’Est de l’Europe, souligne, dans un texte publié cette semaine dans le Financial Times, le lien entre les questions démocratiques et
démographiques à l’Est. Il rappelle que, collectivement, ces pays ont perdu 19 millions d’habitants depuis les années 90, soit 6% de leur population, pour l’essentiel des jeunes éduqués et
formés, partis travailler ailleurs en Europe. Ce déséquilibre s’accompagne dans plusieurs pays d’une baisse de la natalité qui aggrave le déficit démographique, un double déclin inquiétant.
Une autre étude, cette fois de l’Institut Montaigne et de la fondation Terra Nova en France, souligne que cette émigration intérieure à l’Europe est « pénalisante économiquement et
socialement » pour les pays d’origine. Et de mettre en garde contre les « déséquilibres croissants » en Europe, entre des pays qui se vident de leurs forces vives, et ceux qui, au contraire,
compensent leur démographie en berne par cette immigration européenne. Le premier ministre croate, Andrej Plenkovic, dont le pays figure parmi ceux qui se dépeuplent le plus vite au monde,
qualifie ce problème d’« existentiel ». Cette insécurité joue un rôle non négligeable dans les crispations identitaires et dans les réactions politiques à l’Est, et dans l’incompréhension
latente entre les deux parties de l’Europe. Dans le nord de la Roumanie, une région massivement frappée par l’exode des jeunes, j’ai été frappé par la manière dont la question migratoire est
vécue. Les Roumains qui avaient vu partir leurs enfants jugeaient injuste le fait de devoir accepter des migrants extra-européens ; plus complexe qu’un simple rejet raciste. Selon Ivan
Krastev, ce départ des jeunes prive les forces politiquement libérales d’une partie de leur vivier naturel ; mais surtout, selon le politologue, l’illibéralisme prospère sur la promesse non
pas tant de fermer les frontières, que de distinguer entre citoyens et non citoyens. Cette obsession dictée par la peur du déclin met ces sociétés en porte-à-faux par rapport au projet
européen. En Hongrie par exemple le sentiment de double crise -émigration et natalité faible- a pu être « transformé politiquement » par Viktor Orban en un rejet de la politique migratoire
européenne. L’Institut Montaigne et Terra Nova appellent donc à une approche « plus lucide de la réalité migratoire en Europe », intégrant aussi sa dimension interne. Une manière de
dédramatiser un sujet toujours explosif. Pierre Haski