
Le numérique peut-il insuffler du renouveau dans la vie démocratique française ? | terra nova
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Mais curieusement, la France reste passionnée par le débat d’idées et sa jeunesse, même si elle s’engage moins, demeure un commentateur actif et critique de la vie politique sur les réseaux
sociaux. Un paradoxe souligné par la journaliste du Monde, Laure Belot sur l’antenne de France Inter. Si l’engagement politique a tendance à diminuer, les jeunes français restent, en
comparaison avec la moyenne des jeunes européens, les commentateurs les plus dynamiques de la vie politique nationale. A l’heure où l’on vote plus facilement pour sauver un chanteur de
l’élimination que pour des élections locales et que le coût d’un appel surtaxé est mieux toléré que le droit d’entrée symbolique de deux euros pour la primaire d’un parti, le remède miracle
à la crise du pouvoir se trouve-t-il dans le numérique et ses nouveaux usages? L’hypothèse était au centre de la tribune commune de trois think tanks, l’Institut Montaigne, Terra Nova et
Renaissance numérique « Comment les outils numériques peuvent fournir des éléments de réponses à la crise du politique ? ». « Les dernières élections ont montré, une fois encore, la
désaffection de nos concitoyens à l’égard d’un système politique dans lequel ils ne se reconnaissent plus et l’incapacité de nos institutions à répondre à ce défi. L’envie de participation
et de transparence est pourtant forte, comme le prouvent la vitalité de notre tissu associatif et l’émergence de multiples initiatives sur le territoire, portées par les outils puissants
qu’offrent Internet et les nouvelles technologies ». Il faut saluer l’initiative, non pas parce qu’elle décrypte avec justesse les limites de nos modèles démocratiques, de nos institutions
et le potentiel des nouveaux usages numériques pour les débloquer. Mais surtout parce qu’elle se veut le préambule à un cycle d’ateliers participatifs qui vont se tenir dans cinq villes,
Bordeaux, Marseille, Nantes, Nice et Paris. Des ateliers à l’occasion desquels élus, citoyens et experts du numérique nourriront les échanges d’expériences de terrains, afin de faire émerger
des propositions pour faire du numérique un levier de renouveau de la vie publique. Il y a quelques années encore, internet effrayait, car trop libre et incontrôlable. Ironie du sort, cette
absence de contrôle est aujourd’hui le gage de moins de corruption, de plus de sincérité. Les échanges et les transactions sur internet sont tous globalement régis par un principe
transversal: la confiance. Pourquoi ne peut-on pas étendre ce principe à la vie politique et à la participation démocratique? L’expérience a déjà fait des émules en Argentine avec un parti «
le parti du net », dirigé via une plateforme et une application « Democracy OS » qui permet aux élus de suivre en direct, les préconisations de votes suggérées par leurs électeurs. Les
canaux de la représentation sont raccourcis à l’extrême car les institutions sont en crise. Une crise qui touche particulièrement la France. Les meilleures illustrations en sont les taux
record de l’abstentionnisme d’une part, mais aussi les votes pour les extrêmes, contestataires ou non. La crise de la représentation ne se pose en termes d’hypothèse: elle est aujourd’hui un
constat. Dans sa note pour l’ENA « Où en sont les élites administratives en Europe », Luc Rouban nous montre que malgré la crise financière de 2008 et les mouvements de réformes
institutionnels et sociaux qui l’ont accompagnés, les élites administratives sont toujours les mêmes « une différenciation s’est produite au sein de la haute fonction publique entre les
cadres dirigeants et les cadres chargés de la gestion quotidienne. Mais les structures sociales de la haute fonction publique n’ont pas beaucoup évolué. La résilience institutionnelle est
forte. La crise n’a pas produit un nouveau modèle technocratique de haut fonctionnaire. Elle a plutôt renforcé l’influence du politique ». Et lors du récent séminaire #DEmaj « démocratie
mise à jour », le constat est sans appel. Thierry Mandon, chargé de la réforme de l’état et de la simplification ne mâche pas ses mots: > #DEMaj @mandonthierry « Dans la haute
administration, le > numérique est véritablement une langue étrangère » > — Samuel Le Goff (@S_LeGoff) 9 Avril 2015 Et le sentiment de caste est renforcé par l’image d’impunité, la
multiplication des scandales politico-financiers. La crise du pouvoir est aussi une crise des valeurs. Le nombre de français qui envisagent toujours les politiques comme des intermédiaires
fiables et efficaces pour résoudre dans leurs problèmes quotidiens est marginal. Une frontière invisible s’est créée, une digue de légitimité et de crédit, qui ne prévaut plus que dans des
assemblées constituantes auto-satisfaites et représentatives… d’elles mêmes. Pour les élus, l’internet des débuts, c’était avant tout de la communication, une vitrine, du e-marketing, mais
c’était trop beau pour dure. L’échange s’accélère, la parole se libère et les élus sont interpellés sur les réseaux sociaux un peu comme sur le marché. Ils doivent rendre des comptes. Mais
internet donne aussi d’immenses moyens offerts à la société civile et aux citoyens pour se faire entendre, pour revendiquer et exiger, autour de revendications communes et construites. C’est
le sens même de la démarche du collectif « Regards Citoyens », dont l’action est à l’origine de nombreuses dispositions comme ces déclarations d’intérêts que certains parlementaires
retournent avec des mentions manuscrites comme « A bas l’inquisition! ». Visiblement, le message de la transparence a du mal à passer et la pédagogie sera de rigueur. Les précurseurs
américains de l’Open-Gov, impulsé par Beth Noveck la directrice de l’initiative d’ouverture nommée par le président Obama a fait des émules en France: Etalab, Data.gouv.fr. La France se
positionne d’ailleurs aujourd’hui au troisième rang mondial dans l’ouverture des données publiques selon l’Open data index. Des progrès considérables qui ne font pas oublier les blocages
observés il y a quelques années à peine: Internet, les réseaux sociaux et les outils numériques ne faisaient pas bon ménage avec la vie publique. La réaction? Un rejet épidermique, une
fermeture hermétique dont la moribonde HADOPI illustre aussi bien l’inefficacité que l’obsolescence. Autre nouveauté: les médias classiques développent presque tous leurs blogs: de Rue 89 au
Huffington Post en passant par le FigaroVox, il est primordial de donner une tribune pour une voix et une analyse hors système: celle des citoyens et des internautes. Quelle ironie! Dans un
premier temps, regardés en coin par des politiques qui y voyaient le défouloir des amateurs, ces espaces sont aujourd’hui prisés par une classe politique consciente de son décrochage. Grâce
à internet, le coût d’entrée dans l’espace public est plus qu’abordable. C’est un peu le coupe file du tribun sans relais, marquant la fin du pré-carré des médias traditionnels, des leaders
de partis. Dans un climat de fin de règne, les leaders politiques se questionnent: comment intégrer ces propositions citoyennes, sans perdre la main et encore moins la face? Des complexes
que l’on n’avait pas aux Etats-Unis, lorsque Barack Obama a débauché pour sa campagne les têtes pensantes de Google et Facebook. Quel filtre appliquer à ces idées et ces propositions
populaires brutes, pour les rendre compatibles avec les institutions? On se demande si elles sont crédibles ou comme le suggèrent les trois think tanks « si l’on peut en tirer (…) des
éléments aptes à faire émerger une « politique positive » et des propositions nouvelles à porter auprès des décideurs ». La réponse est oui. Mais voilà, pour échanger, dialoguer, nos
collectivités et nos élus doivent se mettre à l’égal de leurs administrés. Un dialogue de confiance et de transparence. Et ce n’est pas gagné lorsque l’on voit le nombre de communes qui
jouent le jeu de l’ouverture des données. Car la sincérité a un prix: celui de la transparence, de l’audit, de l’évaluation, celui de la concertation et du débat public, mais pas du
simulacre. Les Parisiens ont bien senti un manque de sincérité lors du budget participatif. Proposer des projets présélectionnés par les édiles du conseil de Paris, c’est infantiliser et
mépriser l’électeur. C’est donc cela internet: cette résurgence d’une agora oubliée, d’un espace de dialogue et de débat que nous avons tous laissé mourir, aujourd’hui si simple à se
réapproprier. Et si la vie politique française avait terriblement besoin de ces « Speakers’ Corner », à l’image des tribunes populaires des jardins londoniens ? Décomplexé, accessible, le
débat public ne peut plus être pris en otage sous couvert de technicité. Avez-vous déjà lu un rapport de l’assemblée nationale ou encore examiné des délibérations de votre commune, leurs
annexes, les tableaux budgétaires? Pas de quoi rougir, une grande partie de vos élus non plus ! Il faut saluer le travail des quelques parlementaires, souvent les plus discrets, aussi
consciencieux dans l’étude de leurs dossiers qu’ils sont avares d’exposition médiatique gratuite. Quant aux autres, ils sont bien accompagnés, mais peu reconnaissants vis-à-vis de la cohorte
de petites mains qui les assistent, ces attachés parlementaires et collaborateurs de l’ombre qui œuvrent pour rendre la lecture des dossiers plus digeste et accessible. Car la langue
administrative ou juridique est un magnifique instrument de cloisonnement, un outil au service de l’entre-soi. Le message de l’internet? Cette discrimination n’a plus lieu d’être. En un mot:
vos idées valent autant que celles de décideurs autoproclamés. Et parmi nos élus, saluons le courage de ceux qui reconnaissent leurs limites d’analyse ou de compétences techniques dans
certains domaines. A leur manière très personnelle, ils encouragent le citoyen à s’exprimer à son tour, sans complexe. Et c’est là tout le sens du numérique citoyen: stimuler la
participation populaire dans le débat démocratique et la prise de décision. Le numérique doit être le chainon manquant, celui qui permettra la réconciliation des élus et de leurs
administrés, de restaurer la transparence des pratiques de concertation et de rétablir la confiance sur laquelle repose tout l’environnement politique.