L’évolution de la french tech vers plus d’autonomie est inévitable | terra nova

L’évolution de la french tech vers plus d’autonomie est inévitable | terra nova


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LA TRIBUNE – Dans une étude sur la French Tech publiée en mars pour Terra Nova, vous proposez à l’Etat de transformer cet outil public en une fondation reconnue d’intérêt général. Mais ce


n’est pas le choix du gouvernement, qui préfère conserver sa tutelle sur la French Tech et s’est seulement engagé à ouvrir sa gouvernance à l’écosystème. Une occasion manquée ? THIBAUD


FROSSARD – Nous ne nous attendions pas à ce que le gouvernement coupe le cordon avec la French Tech si rapidement. Dans notre étude, nous proposons d’entamer un processus d’autonomie, pas


forcément de basculer directement vers une fondation reconnue d’intérêt général. En revanche, une transformation de la French Tech est indispensable si elle veut conserver sa pertinence et


garder le soutien des entrepreneurs. A terme, il faudra la « rendre » à l’écosystème, comme l’a déjà fait le Royaume-Uni. Cette démarche peut s’effectuer par étapes car il faut peut-être


davantage de temps pour que l’idée fasse son chemin chez les politiques. Aujourd’hui l’Etat a fait le choix de garder la tutelle de la French Tech, mais cela ne veut pas dire que tout va


rester comme avant. Les dernières annonces de Mounir Mahjoubi montrent que le gouvernement a entendu les revendications de l’écosystème. La gouvernance de la French Tech devrait évoluer pour


intégrer davantage les entrepreneurs et les investisseurs. C’est une première victoire. Pourquoi pensez-vous qu’une fondation reconnue d’utilité publique est le meilleur statut pour la


French Tech ? Le constat est simple : la French Tech a très bien fonctionné car elle venait rectifier une faille de marché. Aujourd’hui, cette faille n’existe plus. L’écosystème est bien


mieux structuré, des acteurs privés et associatifs ont émergé, les incubateurs et accompagnateurs n’ont jamais été aussi nombreux, des fonds naissent régulièrement et investissent de plus en


plus. Globalement, la France a réussi sa mutation en _startup nation._ Désormais, l’écosystème se confronte à de nouveaux défis, comme celui de faire grandir ses startups pour créer des 


géants internationaux. Dans ce nouveau contexte, la French Tech, comme toute organisation au bout de quatre ans, doit être réinterrogée pour conserver sa pertinence. Est-elle toujours la


marque ombrelle de l’écosystème ? Notre constat est qu’elle l’est de moins en moins, car beaucoup d’entrepreneurs s’en détournent. La French Tech devient un objet de moins en moins


identifiable à leurs yeux: est-elle une administration ? Une politique publique ? Une agence d’attractivité ? Pourquoi l’Etat continue-t-il à la piloter alors que l’écosystème est prêt pour


prendre le relais ? Pour redonner du sens à la French Tech, il nous est apparu clair qu’il fallait qu’elle gagne davantage d’autonomie. La tutelle de l’Etat, indispensable au début, commence


à gêner, à la fois au niveau national mais aussi au niveau local. Les métropoles French Tech sont par exemple devenues très dépendantes des pouvoirs politiques et économiques locaux, comme


on l’a vu au CES de Las Vegas avec une multiplication des délégations régionales au détriment d’une cohérence globale. Pourquoi le _statu quo_ décidé par le gouvernement ainsi qu’une


privatisation complète de la French Tech, réclamée par certains entrepreneurs, ne vous paraissent-ils pas satisfaisants ? Il ne faut pas oublier que lors de sa création en 2013, il était


clair que la French Tech était censée être gouvernée temporairement par l’Etat pour lancer une dynamique, avant d’être rendue à l’écosystème. Aujourd’hui, la question de la légitimité de


l’Etat pour continuer à piloter la French Tech se pose, donc le _statu quo_ nous paraît menacer la pertinence et l’efficacité de son action à l’heure où l’écosystème est devenu plus mature.


L’idée d’une privatisation totale n’est pas non plus satisfaisante, car il est important que la French Tech garde un lien avec l’Etat. On parle beaucoup de la déconnexion du politique, mais


avec la French Tech, l’Etat dispose d’un lien direct et fort avec l’écosystème. Cela lui permet de mieux comprendre ses besoins et d’adapter son action législative. De plus, la French Tech a


besoin de stabilité sur le long terme. En étant privatisée, elle serait dépendante de performances économiques. En restant sous la tutelle de l’Etat, elle prend le risque de subir un


désintérêt du politique à moyen terme. Par exemple, en cas de retournement de cycle économique, d’une redéfinition de la politique d’investissements dans l’innovation, ou même d’un


changement de majorité, rien ne garantit que la French Tech continuerait d’être alimentée en fonds publics. Pour toutes ces raisons, l’idée de créer, à terme, une fondation reconnue


d’utilité publique, nous paraît une évolution naturelle. Cette structuration permettrait de s’affranchir de la tutelle de l’Etat sans couper les ponts avec lui : l’Etat resterait un membre


de droit et obtiendrait des sièges au conseil d’administration. La fondation permettrait surtout aux entrepreneurs d’être en première ligne en étant majoritaires dans la gouvernance. Comment


pourrait fonctionner cette fondation en terme de gouvernance et de budget ? En terme de gouvernance, nous avions proposé une règle de trois : un tiers de membre fondateurs (entrepreneurs,


structures qui existent déjà comme le Numa, France Digitale…), un tiers de membres de droits (ministères, écosystème régionaux…) et un tiers de personnalités phares (investisseurs, grands


groupes, membres d’institut de recherche…). De cette manière, l’ensemble de l’écosystème serait représenté. Concernant les financements, nous proposions un budget total de 200 millions


d’euros, co-financé par l’Etat et l’écosystème, pour que la génération des intérêts puisse permettre de conserver un fonctionnement semblable au fonctionnement actuel. Dans le cas où l’Etat


voudrait lancer une politique spécifique en s’appuyant sur la French Tech, il pourrait subventionner la fondation. Avez-vous sondé l’écosystème sur cette idée ? Oui. Nous avons contacté


beaucoup de personnes. Je ne peux pas donner davantage de détails car il y a d’anciens responsables politiques et des entrepreneurs très impliqués dans la French Tech, mais le désir


d’obtenir une autonomie supplémentaire était un consensus. Certains souhaitent une autonomie totale, d’autres partielle, certains n’étaient pas d’accord avec l’idée de la fondation, d’autres


la réclamaient, mais globalement, il est clair que l’écosystème aspire à reprendre le contrôle de la Mission French Tech. Le gouvernement et sa nouvelle directrice, Kat Borlongan, doivent


donc l’intégrer. Propos recueillis par Sylvain Rolland