
La garde à vue à la dérive | terra nova
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Quelques mois après la décision du Conseil constitutionnel censurant les principales dispositions sur la garde à vue et renvoyant au législateur le soin de modifier le régime applicable en
France, Mme Alliot-Marie, garde des sceaux, présente aujourd’hui devant le conseil des ministres un projet de loi réformant la garde à vue. Le texte a pour objectif de réduire le recours à
cette mesure coercitive et restrictive des libertés. Il faut dire qu’au début de l’année 2010, l’opinion publique s’était émue, à l’occasion d’un certain nombre d’affaires médiatiques, de
l’accroissement exponentiel du recours à cette mesure. Durant l’année 2009, la France a connu près de 800 000 mesures de gardes à vue, chiffre très élevé au regard de ceux de ses voisins
européens. Des juges de la détention et des libertés ont ainsi refusé de prolonger des gardes à vue en se fondant sur des décisions récentes de la CEDH (affaire Salduz/ Turquie du 27
novembre 2008 et affaire Dayanan/ Turquie du 13 octobre 2009). Le « coup de tonnerre constitutionnel », causé par la décision du 30 juillet 2010 du Conseil constitutionnel a précipité les
évènements : les juges constitutionnels, saisis par la voie d’une QPC (question prioritaire de constitutionnalité) ont considéré en effet que la garde à vue ne permettait plus de concilier «
d’une part, la prévention des atteintes à l’ordre public et la recherche d’auteurs d’infractions, et, d’autre part, l’exercice des libertés constitutionnellement garanties ». L’abrogation
des dispositions inconstitutionnelles a toutefois été reportée au 1er juillet 2011 afin de permettre au législateur de remédier à cette inconstitutionnalité, et de ne pas bloquer le
fonctionnement du système judiciaire. Le projet de loi vise également à accroître de façon significative les droits des personnes gardées à vue, et plus spécifiquement le droit à
l’assistance de l’avocat. Selon les propos tenus dans la presse par la ministre de la justice et des libertés, il s’agit ainsi de refonder le régime de cette mesure susceptible de porter
atteinte à la liberté individuelle dans le respect des exigences posées tant par le Conseil constitutionnel que la Cour européenne des droits de l’Homme (I). Cependant, les avancées
affichées par ce projet, ne parviennent pas à dissimuler ses insuffisances. Ce texte réserve beaucoup trop d’exceptions et de dérogations. Il exclut ainsi d’un dispositif plus protecteur
toutes les infractions graves et innove en créant un nouveau régime, l’audition libre, qui ne comporte aucune garantie fondamentale. La question de sa mise en œuvre et des moyens qui seront
affectés à ce nouvel enjeu de la réforme de la procédure pénale doit également être posée (II). 1 – DE NOUVEAUX DROITS DANS UN PROJET AUQUEL LE GOUVERNEMENT A ÉTÉ FORCÉ Le Conseil
constitutionnel, dans sa décision du 30 juillet 2010, n’a pas remis en question le principe de la garde à vue. Il était possible d’envisager la suppression d’un tel régime, des pays comme
par exemple l’Italie et l’Allemagne en étant dépourvus. Le Conseil n’a pas suivi cette voie. Il a considéré qu’il appartenait au législateur d’apporter « les garanties appropriées encadrant
le recours à la garde à vue ainsi que son déroulement et assurant la protection des droits de la défense ». Le projet de texte, dans son exposé des motifs, énonce les deux objectifs
poursuivis: maîtrise du nombre de garde à vue et accroissement des droits des personnes gardées à vue. Il pose le principe de l’audition libre du suspect, la garde à vue ayant un caractère
subsidiaire (article 62–2 du code de procédure pénale). Il définit ensuite ce régime de la garde à vue, le délimite et en fixe les droits et garanties. La première innovation de la réforme
est l’instauration d’un régime nouveau: l’audition libre, qui est désormais le principe lorsqu’il existe des raisons plausibles de soupçonner qu’une personne a commis ou a tenté de commettre
une infraction même si cette personne a été interpellée. La garde à vue, mesure restrictive de la liberté, présente désormais un caractère subsidiaire. Selon l’étude d’impact, il s’agit
notamment de réduire le nombre de gardes à vue dans les délits routiers, ce qui aurait pour effet de limiter à 500 000 le nombre total de mesures chaque année. Désormais, l’interpellation
d’une personne par des enquêteurs n’imposera pas son placement en garde à vue dès lors que celle-ci consent à être entendue librement. Ce consentement doit être recueilli par un officier de
police judiciaire. Par ailleurs, le projet délimite clairement les contours de la garde à vue. Alors que jusqu’à présent, le code de procédure pénale ne connaissait pas de définition de
cette mesure, la loi décrit désormais de manière limitative et restrictive les conditions permettant d’y recourir. Il faut, en premier lieu, qu’il existe une ou plusieurs raisons possibles
de soupçonner que la personne a commis ou tenté de commettre un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement. Il faut ensuite que cette mesure soit indispensable pour les nécessités
de l’enquête ou pour le recueil de tout élément permettant au procureur de la République de décider des suites de la procédure. Elle doit permettre de garantir le maintien de la personne à
la disposition des enquêteurs ou sa présentation ultérieure devant le procureur de la République, pour empêcher que la personne ne modifie les preuves ou indices matériels, ou qu’elle fasse
pression sur les témoins ou les victimes ainsi que sur leur famille, ou se concerte avec d’autres personnes susceptibles d’être ses coauteurs ou complices. Elle doit encore faciliter la mise
en œuvre de mesures destinées à faire cesser l’infraction. Ensuite, les dispositions phares du projet visent à accroître les droits des personnes gardées à vue. Le droit de s’entretenir
avec un avocat dès le début de la garde à vue est réaffirmé. Désormais, l’avocat pourra avoir accès aux procès-verbaux de notification du placement en garde à vue et de notification de ses
droits ainsi qu’aux procès-verbaux d’auditions déjà réalisées. Par ailleurs, la personne disposera du droit de prévenir un proche et son employeur. Aujourd’hui, une seule communication
téléphonique est autorisée. Le droit d’être examiné par un médecin est également affirmé. La notification du droit au silence est en outre rétablie conformément aux exigences posées par le
Conseil constitutionnel. La personne est informée dès le début de la mesure qu’elle a le choix de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui sont posées ou de se taire. Tous
ces droits doivent être notifiés au début de la garde à vue. Ce principe de la notification de ces droits est aussi une innovation. Enfin, le texte affirme deux principes essentiels qui
découlent des exigences constitutionnelles. Il est ainsi prévu dans le paragraphe V de l’article 63 du code de procédure pénale que « la garde à vue doit se dérouler dans des conditions
matérielles assurant le respect de la dignité de la personne ». De ce principe, découle le nouveau régime des fouilles à corps. La fouille à corps intégrale (qui peut nécessiter un
déshabillage) doit être réalisée par une personne de même sexe que la personne objet de la fouille. Lorsque, par ailleurs, il est indispensable, pour les nécessités de l’enquête de procéder
à des investigations corporelles sur une personne gardée à vue, celles-ci ne peuvent être réalisées que par un médecin requis à cet effet. Le paragraphe VI du même article 63 pose le
principe du contrôle de la garde à vue par le Procureur de la République. Le projet comporte ainsi des avancées significatives. Cependant, des zones d’ombre et des fenêtres de non droit
doivent être mises en lumière. Aux yeux de certains professionnels et notamment de certains avocats, elles s’avèrent réellement inquiétantes. Cette réforme n’en cache pas t’elle une autre? 2
– UNE RÉFORME QUI EN CACHE UNE AUTRE, INQUIÉTANTE S’AGISSANT DES DROITS ET LIBERTÉS Par delà les apports réels, le projet de loi suscite certaines interrogations. Les dérogations aux
principes sont nombreuses. Et l’on peut se demander si elles sont assorties de garanties suffisantes. La faisabilité du système, et celle des moyens mis en œuvre pour cette réforme, font
question : la présence de l’avocat pourra-t-elle être garantie? Le contrôle du procureur de la République pourra-t-il être effectif? Enfin, que penser du régime de l’audition libre? Le
législateur n’est-il pas en train, sous le couvert de l’affirmation d’un principe, d’inventer un régime dérogatoire à la garde à vue? Qu’est-ce qu’un consentement libre après une
interpellation? Le texte, affiché comme un texte de progrès, cache en réalité une autre réforme visant à restreindre les libertés dans de nombreux champs de l’enquête pénale. 2.1 – LE PROJET
DE RÉFORME EXCLUT DE SON CHAMP LES INFRACTIONS LES PLUS GRAVES ET LES PLUS SÉVÈREMENT PUNIES. En effet, le texte dispose que les dispositions relatives au droit à l’assistance d’un avocat
ne sont pas applicables aux personnes gardées à vue pour les infractions visées à l’article 706–73 du code de procédure pénale. N’ont pas droit ainsi à l’assistance d’un avocat les personnes
gardées à vue pour les infractions de trafic de stupéfiant, de crimes et délits en bande organisée, de proxénétisme, de terrorisme. Le texte consacre donc la principe de l’absence de
défense pendant la garde à vue pour les infractions les plus graves. Or les personnes qui sont suspectées d’avoir commis ces infractions sont celles qui risquent les peines les plus graves
et qui ont sans nul doute le besoin le plus grand d’être assistées par un avocat. Par cette exclusion, le principe du texte, à savoir instaurer les droits de la défense dans la garde à vue,
est quasiment vidé de sa substance. 2.2 – L’AVANT PROJET PRÉVOIT CERTAINES DÉROGATIONS AU DROIT À L’ASSISTANCE DE L’AVOCAT PENDANT LA DURÉE DE LA GARDE À VUE En premier lieu, le droit de
consultation des procès-verbaux peut être remis en cause si l’officier de police judiciaire estime, en raison des nécessités de l’enquête, ne pas devoir faire droit à la demande formée par
l’avocat de consulter ces pièces du dossier. Dans ce cas, l’officier de police judiciaire en réfère sans délai au Procureur de la République qui peut alors décider, en considération des
circonstances particulières tenant à la nécessité de rassembler ou de conserver les preuves, de ne pas faire droit à la demande lorsqu’un tiers est mis en cause ou cité dans le
procès-verbal. On comprend bien le souci du législateur de ménager l’efficacité de l’enquête. Cependant, le texte édicte une exception assez large. En outre, la situation concernée n’est pas
si exceptionnelle que cela. Les infractions commises en réunion constituent en réalité le travail quotidien des officiers de police judiciaire. Plus grave encore, le droit d’être assisté
par un avocat au cours des auditions est également susceptible de dérogations. En effet, si le gardé à vue peut demander que l’avocat assiste aux auditions dont il fait l’objet au cours de
la mesure, l’officier de police judiciaire peut estimer pouvoir ne pas faire droit à cette demande en raison des nécessités de l’enquête. Dans ce cas, il en réfère au procureur de la
République qui peut alors décider, en considération des circonstances particulières tenant à la nécessité de rassembler ou de conserver les preuves, de différer la présence de l’avocat lors
des auditions, pendant une durée ne pouvant excéder douze heures. On observera que les conditions dans lesquelles cette dérogation peut intervenir sont très larges. Il n’existe par ailleurs
aucune obligation de motivation, ni aucun recours. En pratique, cela signifie que le gardé à vue pourra être entendu une journée entière, seul, sans l’assistance de son avocat. Quel est
l’intérêt d’une telle mesure si ce n’est de favoriser des circonstances permettant aux services de police d’obtenir plus facilement des aveux? 2.3 – AU DELÀ DE CES EXCLUSIONS ET DÉROGATIONS,
AU DEMEURANT INQUIÉTANTES, DES GARANTIES DEVRONT ÊTRE DONNÉES QUANT À LA MISE EN ŒUVRE EFFECTIVE DE LA RÉFORME. Le droit à l’assistance d’un avocat dans la garde à vue doit être assuré de
manière efficace et efficiente. Or, le projet est silencieux sur les conditions d’intervention de l’avocat, et plus précisément sur la rémunération de celui-ci. Actuellement, les avocats
sont rémunérés à l’acte. Cependant, la mise en oeuvre de la réforme va entraîner des sujétions nouvelles importantes (suivi de la garde à vue, assistance dans le cadre des auditions, de jour
comme de nuit). La ministre annonce une dotation spécifique de 80 millions d’euros au titre de l’Aide Juridictionnelle. Pour les avocats, ce financement est insuffisant. La réforme ne
risque-t-elle pas de se heurter à une insuffisance de moyens? Un autre sujet d’inquiétude risque de se concrétiser rapidement. En l’état actuel des effectifs des parquets, le contrôle des
gardes à vue n’est pas assuré de manière efficiente. Les magistrats n’ont pas le temps de se rendre dans les commissariats. Le contrôle s’effectue par téléphone. L’officier de police
judiciaire appelle le magistrat de permanence et celui-ci prend les décisions qui s’imposent au vu des éléments qui lui ont ainsi transmis téléphoniquement. Les procès verbaux ne lui sont
pas communiqués. A l’heure des nouvelles technologies de communication, il faut envisager une transmission obligatoire par voie électronique des procès verbaux afin de permettre une
intervention efficiente du Procureur de la République dans la procédure. Rien de tel n’est prévu dans le texte. Quant aux contrôles sur les lieux de la garde à vue, on conviendra qu’ils
supposeraient une augmentation des effectifs au sein des parquets. Rien de tel non plus n’a été envisagé. 2.4 – ENFIN, LE RÉGIME DE L’AUDITION LIBRE SUSCITE UN RÉEL ÉTONNEMENT La formulation
est habile. L’audition libre de la personne suspectée est instaurée comme principe, la garde à vue étant l’exception. Mais en réalité ne s’agit-il pas d’une inversion? L’intention du
législateur n’est-elle pas d’une certaine manière de permettre aux différents acteurs de la procédure pénale de contourner le régime protecteur de la garde à vue? On se souvient que,
lorsqu’à la fin du XIXème siècle, des droits nouveaux ont été reconnus aux prévenus devant le juge d’instruction, a été constatée peu à peu une évolution vers une diminution des saisines des
magistrats instructeurs. Ici, la loi organise elle-même son propre contournement. Et elle le fait dans des conditions elles-mêmes très floues et peu protectrices. Ainsi, le champ de cette
audition libre est défini de manière très large. Il suffit qu’il existe des raisons « plausibles » de soupçonner qu’une personne a commis une infraction. Par ailleurs, le texte comporte une
ambiguïté réelle. Il prévoit dans un première disposition que la personne demeure libre lors de son audition devant les enquêteurs. On peut supposer que la loi permet ainsi à la personne de
quitter le commissariat quand elle le souhaite même en cours d’audition. Mais, s’agissant de la personne interpellée, auquel le dispositif s’applique, il est énoncé que l’officier de police
judiciaire recueille le consentement exprès de la personne à demeurer dans ces locaux pendant le temps strictement nécessaire à son audition. Il est donc prévu un régime différent pour les
personnes interpellées qui sont contraintes de rester dans les locaux des services de police durant le temps de l’audition, temps qui n’est ni défini ni limité. L’audition libre n’est donc
plus libre. Elle s’apparente ainsi à une garde à vue…sans les garanties de la garde à vue. Ces dispositions constituent incontestablement une régression. La question du consentement de la
personne pose également difficulté. Le consentement suppose un choix libre et éclairé. Quelle est la marge de liberté lorsque la personne est interpellée. Quelle est la liberté de choix
lorsque l’alternative réside dans la garde à vue, c’est-à-dire dans une mesure plus contraignante ? A tout cela s’ajoute le fait que le contrôle du procureur de la République est limité aux
gardes à vue. L’audition libre, qui ne comporte aucune garantie, ne fait donc l’objet d’aucun contrôle quel qu’il soit. L’avocat en est exclu. Le parquet est dépourvu de tout droit de
regard. L’audition libre n’est-elle pas finalement celle où est reconnue une seule liberté: celle des enquêteurs? La garantie d’un équilibre entre les droits de la défense et l’efficacité
des enquêtes de police devait être l’objectif de cette réforme de la garde à vue. On conviendra que cela n’est pas chose aisée. Mais cela est cependant possible. Loin d’atteindre cet
objectif, le gouvernement propose un texte qui consacre le principe de l’absence de défense dans les gardes à vue concernant les infractions les plus graves et créé un nouveau champ des
enquêtes dans lequel les droits fondamentaux sont exclus. Le principe posé du droit à l’avocat posé comme fondement du texte est dès lors vidé de toute sa substance. Le droit à l’assistance
d’un avocat ne doit souffrir d’aucune exception, même lorsque l’infraction présente un certain degré de gravité. Si certaines des dérogations posées au principe de l’assistance de l’avocat
dans la GAV- comme la possibilité offerte aux enquêteurs de demander au procureur de la République de différer la présence de l’avocat- peuvent être revues dans le sens d’un aménagement plus
strict et plus encadré, tel n’est pas le cas du nouveau régime de l’audition libre. Sous le couvert d’un souci d’efficacité de l’enquête et d’un objectif de réduction du nombre des gardes à
vue, le gouvernement propose un nouveau régime de contrainte: une nouvelle garde à vue sans les droits de la garde à vue. Il faut demander la suppression de ce dispositif et à l’instar des
propositions de loi déposées au Parlement par les parlementaires de l’opposition, demander l’instauration d’un régime de garde à vue clair et précis, strictement limité dans ces contours,
garanti par des droits fondamentaux et sans possibilité de recours à un autre régime qui n’en serait qu’un ersatz, qu’une copie dévoyée et régressive.