
Combien dépenser pour la santé ? Une perspective démocratique | terra nova
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Relation entre l’offre, le besoin, et la demande ; Wright utilise ce schéma pour montrer que la zone d’adéquation « idéale » est la zone centrale Mais la tâche est complexe, tant sur le plan
descriptif (disposer de données fiables et interprétables sur l’offre et la demande) que sur le plan normatif. Si l’on veut faire correspondre l’offre aux besoins réels, on ne peut en effet
se passer d’un effort pour qualifier la part de besoins qui n’est pas exprimée sous forme de demande. Cela concerne au premier chef les besoins de prévention, mais également une part des
besoins de soins que les patients ne demandent pas, soit parce qu’ils ne connaissent pas leurs besoins, soit parce que leur accès aux soins est entravé pour des raisons par exemple
financières ou géographiques. Si l’on veut définir des besoins « réels » au-delà de la demande exprimée, il est donc nécessaire d’adopter une forme de démarche normative sur l’état de santé
souhaité ou ce que Daniels appelle un « fonctionnement normal » à état de santé donné. Un papier de la DREES de 2004, intitulé « Peut-on quantifier les besoins de santé ? », reprend ainsi à
son compte la définition suivante : « _ En santé publique, les « besoins de santé » peuvent être définis comme l’écart entre un état de santé constaté et un état de santé souhaité par la
collectivité ou les pouvoirs publics_ », et note aussitôt que « _ la question la plus difficile, soulevée pour la quantification des besoins de santé, réside dans la référence à choisir
comme norme d’état de santé souhaité_ » . Pour ce faire, la proposition de loi référendaire portée par « Notre hôpital, c’est vous » proposait dans son exposé des motifs que l’évaluation
des besoins soit guidée par l’évolution des recommandations professionnelles de prise en charge. Mais cette perspective ouvre des débats : en matière par exemple de prothèses auditives, ou
de dépistage des cancers, des débats récents ont émergé pointant que la définition, par les experts, d’un état de santé souhaité, faisait intervenir des valeurs ou des représentations que
les patients concernés peuvent être amenés à contester. Citons le débat qui a émergé avec la généralisation du dépistage organisé du cancer du sein en 2004, objet depuis lors d’une
controverse sur les enjeux du surdiagnotic et du sutraitement, certaines associations pointant que l’action publique tend ici à imposer aux femmes une certaine vision de la balance
bénéfice/risque . Ou encore les controverses qui ont entouré les recommandations de la HAS en matière de dépistage néonatal de la surdité (2007) et de prise en charge de la surdité chez
l’enfant (2009), motivant les critiques de certaines associations de personnes sourdes qui y voyaient l’imposition d’une vision partiale et négative de la surdité et réclamaient, à rebours
notamment des technologies d’implantations réparatrices promues par la HAS, davantage d’ouverture aux différentes représentations de la surdité et à la langue des signes . En pratique, dans
l’analyse des besoins de santé, on utilise souvent essentiellement la méthode comparative pour pointer un écart entre état de fait et état souhaité : est qualifié de « besoin » pour un
territoire donné son écart par rapport à la moyenne régionale, nationale, européenne ou OCDE, pour un problème donné. C’est cette moyenne qui constitue la norme de référence du besoin. Cet
éclairage par les inégalités territoriales ne donne toutefois pas pleinement satisfaction, notamment parce qu’il n’y a pas de raison de penser que la moyenne ainsi prise pour norme constitue
par elle-même un optimum d’état de santé. L’exemple classique est celui de la surmortalité liée à l’alcool en France : dans les territoires où elle se situe dans la moyenne nationale,
faut-il considérer que la prévention de l’alcoolisme ne constitue pas un « besoin de santé » ? La pertinence de la péréquation entre régions a fait l’objet de nombreux approfondissements.
Suite aux ordonnances d’avril 1996 qui prévoyaient une déclinaison régionale des ressources indexées aux besoins de santé en affichant un souci d’égalisation entre régions, le Haut Comité de
la Santé Publique a montré dès 1998 les faiblesses d’un raisonnement qui résumerait les différences interrégionales d’état de santé à un enjeu d’allocation des ressources : leur
compréhension requiert en effet, au-delà de la mesure des écarts d’état de santé observés pour différentes catégories de population à âge comparable, d’analyser en complément les écarts
observés dans l’accès aux soins (qui relève essentiellement des caractéristiques de l’offre), des dimensions systémiques portant sur l’utilisation du système de soins (qui fait intervenir
les comportements de demande) ainsi que leurs effets, c’est à dire les différences de volume de soins consommés et de dépenses . La capacité du système de santé à assurer que les _ besoins_
se traduisent en _ demandes_ effectives, et à atténuer la façon dont les inégalités sociales affectent ce mécanisme, est une dimension clé de son efficacité pour améliorer l’état de santé
des populations. 4. UN EXEMPLE CLASSIQUE : L’ÉVALUATION DES BESOINS DE SANTÉ DES ENFANTS ET LA RÉGULATION STRATÉGIQUE DE L’OFFRE L’exemple de la santé des enfants et de la régulation de
l’offre en pédiatrie peut servir d’illustration concrète des difficultés auxquelles se heurtent les tentatives de qualification de besoins en santé. La santé des enfants est prise en charge
à la fois par les pédiatres, les généralistes et les services de la Protection maternelle et infantile (PMI). Besoins de soins et besoins de prévention sont ici particulièrement entremêlés,
avec une dimension fondamentale d’éducation à la santé, de vaccination et de dépistage, et deux problématiques marquées : celle des inégalités sociales et celle des inégalités territoriales.
Un rapport récent de l’IGAS remis en mai 2021 a entrepris de qualifier ces besoins spécifiques et d’en inférer des recommandations stratégiques pour l’organisation de l’offre destinée aux
enfants en pédiatrie et en médecine générale. Du constat qu’il existe un rapport de 1 à 24 entre départements quant à la densité de pédiatres libéraux, et que le délai d’attente moyen pour
obtenir un rendez-vous de pédiatre est de 22 jours , faut-il inférer que l’offre de prise en charge en pédiatrie doit être amplifiée dans les territoires où elle est faible ? Comment
quantifier le « besoin » de pédiatres ? La France est peu dotée en pédiatres en comparaison avec les pays de l’OCDE : la densité de pédiatres par rapport à la population est la 22 e sur 31
pays, avec une densité presque quatre fois inférieure à la Grèce (pays le plus dense en pédiatres). La comparaison reste défavorable même lorsqu’elle est ciblée sur les pays ayant un système
de prise en charge des enfants comparable au nôtre, avec une prise en charge de premier recours assurée conjointement par des pédiatres et des médecins généralistes. Dans 8 départements, la
densité est inférieure à 1 pédiatre pour 100 000 habitants. A l’inverse, Paris est le département le plus doté en pédiatres (13,7 pédiatres pour 100 000 habitants), suivi de près par les
Hauts-de-Seine (11,4). Selon une étude de la DREES de 2016, la disparité entre départements se double d’une disparité forte entre types de communes, avec un fort avantage pour les habitants
des pôles urbains , ce qui pose une question majeure d’accès aux soins pédiatriques pour certaines populations (en particulier en deuxième couronne des aires urbaines et dans le monde
rural). De surcroît, note la mission IGAS, l’âge moyen des pédiatres libéraux laisse présager une aggravation de la situation : 44 % d’entre eux ont plus de 60 ans. La pédiatrie libérale
connaît un recul démographique important. Cet enjeu est renforcé, selon l’IGAS, par la contraction des effectifs médicaux de la PMI et de la médecine scolaire, dont le rôle préventif est
essentiel, en particulier auprès des moins favorisés. En miroir, les médecins généralistes assurent plus de 85 % des consultations de ville des enfants de moins de 16 ans. Mais, souligne
l’IGAS, « _ leur formation à la médecine de l’enfant, même si elle a été récemment renforcée, reste hétérogène et insuffisante au regard de ce rôle prépondérant_ ». La supériorité du suivi
en pédiatrie que suggère cette position implique-t-elle que l’offre de pédiatrie est donc insuffisante dans notre pays ? La mission IGAS complète son diagnostic de l’offre par un diagnostic
de l’état de santé des enfants, tendant à suggérer des besoins non couverts. Ainsi, le taux de mortalité infantile en France est légèrement supérieur à la moyenne de l’OCDE (28e position de
la France sur 44 pays en 2017) et il reste stable depuis 2005, alors qu’il a tendance à baisser dans les autres pays européens. Certes, des évolutions favorables sont constatées pour l’état
de santé bucco-dentaire des enfants (en 2015, 68 % des enfants scolarisés en classe de CM2 sont indemnes de caries, +8 points par rapport à 2008) ainsi que pour l’obésité et le surpoids qui
se stabilisent, voire régressent pour les plus jeunes. Mais la France reste plus touchée par le surpoids des enfants que la moyenne de l’OCDE : 32,4 % des enfants de 5 à 9 ans contre 31,4 %
en moyenne dans l’OCDE (27e position). Par ailleurs, comme pour l’ensemble de la population, la santé des enfants et des adolescents est marquée par une hausse des maladies chroniques : le
nombre d’enfants de moins de 15 ans ayant une affection de longue durée a progressé de 23 % depuis 2012, alors que la population de cette tranche d’âge a diminué de 1% sur cette période.
Enfin, l’IGAS dresse un tableau particulièrement préoccupant des inégalités sociales et territoriales. La mortalité infantile reste deux à trois fois plus élevée en Outre-mer. De même, un
enfant d’ouvrier a six fois plus de probabilités d’être obèse qu’un enfant de cadre. Des inégalités sociales qui se retrouvent en termes de santé bucco-dentaire, de pratique sportive ou
d’exposition aux écrans . La mission IGAS pointe aussi des besoins de soins auxquels la réponse paraît problématique, et déplore en particulier un recours injustifié aux urgences qui
témoigne selon elle d’une inadéquation de l’offre. Le recours aux services d’urgences des enfants est important, en particulier pour les enfants de moins de deux ans (6 % des passages aux
urgences, 2 % de la population) et augmente (+2 % par an en moyenne pour les 0–18 ans entre 2013 et 2018), alors que la population des 0–15 ans diminue sur la même période (-3 %). Selon
l’IGAS, « _ la difficulté à trouver une consultation non programmée en ville est invoquée par les parents comme par les professionnels comme élément d’explication._ ». De ces différents
éléments du diagnostic l’IGAS conclut que des « _ évolutions sont souhaitables, pour répondre aux besoins de santé de l’ensemble des enfants, et notamment les plus vulnérables_ ». C’est
bien d’une appréciation des besoins que la mission entend se prévaloir pour procéder à une série de recommandations autour d’un nouveau schéma-cible d’organisation : le pédiatre y jouerait
un rôle d’expertise et de recours, et le médecin généraliste, moyennant une formation enrichie, un rôle d’acteur de proximité du suivi médical des enfants ne présentant pas de pathologie
chronique ni de facteur de vulnérabilité, pour le suivi préventif et les soins non programmés . Ce développement sur la pédiatrie a valeur d’exemple : quelles sont les informations qui
permettent de qualifier un besoin de santé et d’en faire le fondement d’une réflexion stratégique de planification ou de régulation de l’offre de soins et de prévention ? L’IGAS mobilise des
éléments de diagnostic factuels relatifs au volume de la demande de soins, à la nature des consommations et à l’état de santé des enfants. Plusieurs arguments comportent une dimension
comparative, qu’il s’agisse de comparaisons entre régions ou entre pays de l’OCDE. Mais la référence à une norme, par rapport à laquelle le « besoin » qui est exploré pourrait être qualifié,
est quant à elle plus complexe à caractériser ; elle est présente notamment lorsqu’il s’agit de qualifier une consommation de soins inappropriée aux urgences, mais s’agissant des
caractéristiques du suivi en pédiatrie par rapport à celui qu’assurent les médecins généralistes, de la formation de ces derniers, ou encore de la qualification du rôle qui doit leur revenir
en lien avec l’apport propre des pédiatres, les éléments normatifs sont sous-jacents mais nettement moins explicites. Serait-il légitime de vouloir réduire les inégalités entre départements
dans l’accès à un pédiatre pour généraliser le suivi en spécialité pour tous les enfants en premier recours ? La mission écarte cette option, considérant qu’elle « _ n’est ni réaliste
démographiquement ni souhaitable, compte-tenu du rôle actuellement joué par les médecins généralistes et des compétences spécialisées des pédiatres_ ». Cette assertion rapide n’est pas
confrontée aux approches du besoin de santé qui s’intéresseraient à la définition d’une norme de qualité de prise en charge, ou encore aux besoins ressentis par les parents. Le fait d’être
suivi par un pédiatre ou par un médecin généraliste engendre-t-il des différences dans la qualité de la prise en charge ? Sur quelle qualité « optimale » de prise en charge peut-on
s’accorder, avec quels critères ? Que souhaitent les parents, sur quels critères choisissent-ils le mode de suivi de leur enfant, comment appréhendent-ils les différences éventuelles en
termes de reste à charge, de simplicité d’accès, de qualité des soins ? Comment prendre en compte l’hétérogénéité des perceptions et des préférences des parents face à une même situation de
santé ? La démarche de qualification du besoin que sous-tendraient de telles interrogations supposerait un appareil méthodologique complexe qui n’est pas disponible. En outre, le « besoin de
pédiatre » serait-il défini qu’on n’aurait pas de cadre précis pour en inférer le juste niveau de dépenses à lui allouer. Il faudrait encore, pour passer aux dépenses, s’accorder sur la
rémunération légitime de la consultation, et sur ce que l’on peut attendre du pédiatre en termes de productivité. Et par ailleurs il resterait aussi à s’assurer de l’expression de ce besoin
sous la forme d’une demande effective de soins pédiatriques. 5. RENFORCER LA QUALITÉ DÉMOCRATIQUE DE L’ÉVALUATION DES BESOINS DE SANTÉ POUR RENFORCER LA QUALITÉ DÉMOCRATIQUE DES CHOIX
D’ALLOCATION En dépit de l’importance qui lui est d’ores et déjà conférée au fil des différents textes régissant le pilotage stratégique de la santé, l’évaluation des besoins auxquels la
dépense de santé vient répondre est donc un enjeu méthodologique encore partiellement indéterminé. Mais c’est simultanément un enjeu démocratique majeur que d’accroître l’intelligibilité des
diagnostics qui déterminent les choix d’allocation. La crise COVID a renforcé l’acuité de ce constat ; comme l’a montré Pierre-Louis Bras, l’une des leçons à tirer de la crise concerne la
nécessité de renforcer la qualité politique et démocratique des choix d’allocation, en particulier dans le cadre du débat sur l’ONDAM, dès lors que « _ la crise a révélé que des ressources
étaient allouées aux soins en fonction des exigences de la politique des finances publiques et non en considérant les moyens nécessaires pour délivrer des soins de qualité_ » . Un constat
proche de celui établi par le ministre Olivier Véran, lorsqu’à l’issue du Ségur de la santé il a saisi le Haut conseil pour l’avenir de l’Assurance maladie (HCAAM) au sujet des _ « limites
des outils de régulation des dépenses d’assurance maladie_ », notant dans sa lettre de mission : « _ Norme de dépenses centrale dans la régulation des finances publiques, l’ONDAM est perçu
par les acteurs comme détaché des réflexions stratégiques sur l’organisation des soins et de la délibération démocratique sur les politiques de santé_ » . En retour, dans son rapport du 27
mai 2021, le HCAAM a repris à son compte ces constats et exprimé son inquiétude quant à la qualité démocratique de la délibération stratégique en matière d’allocation des ressources en
santé, en se donnant pour objectif de proposer « _ une régulation plus susceptible d’atteindre dans la durée les objectifs assignés par la population et ses représentants, dans leurs
composantes politique, sociale et sanitaire, au système de santé_ » . Pour le HCAAM cependant, prendre l’évaluation des besoins de santé pour boussole du pilotage des dépenses relève de
l’aporie : « _ Définir un montant de dépenses nécessaires à partir de besoins de santé définis ex-nihilo (indépendamment des caractéristiques actuelles de l’offre et du recours) est
impossible. Il n’existe en effet pas de définition de la santé susceptible d’être déclinée opérationnellement en termes de besoins, la définition de l’OMS étant emblématique à cet égard : «
La santé est un état de complet bien-être physique, mental et social et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité ». Entrent en jeu les présupposés socio-culturels
sur ce qu’est la santé, sur ce que la médecine doit couvrir (champ lié notamment au progrès médical) et ce que doit prendre en charge la collectivité, sur la responsabilité de chacun en
matière de prévention et de recours.._ . » . En somme, des enjeux de valeurs et des choix politiques qui dépassent la quantification de la demande. En revanche, concède le HCAAM,
l’évaluation des besoins s’entend pour guider le pilotage de l’offre de soins sur le plan des ressources humaines, au sens d’une gestion prévisionnelle des emplois, des effectifs et des
compétences, en fonction des besoins en personnels dans les territoires, et en intégrant l’enjeu des conditions de travail et des niveaux de rémunération. Pour renforcer la qualité
démocratique du débat sur le financement de la santé, la proposition centrale du HCAAM est d’expliciter les valeurs et les choix politiques qu’il engage. Le HCAAM propose d’élaborer « _ un
document unique_ » déterminant « _ une trajectoire à cinq ans des objectifs, activités et ressources du système de santé_ », et de le soumettre à « _ la démocratie politique, sociale et
sanitaire, au niveau national et local_ ». Ce document, dont l’ONDAM serait une déclinaison, _ « définirait des priorités transversales telles que : réduire les inégalités d’accès aux
soins, structurer les soins de proximité, agir sur les déterminants de santé, dans le cadre d’une trajectoire tenant compte du point de départ_ ». Nouveauté décisive qu’il faudrait pouvoir
commenter pour elle-même, ce document stratégique serait élaboré dans un cadre interministériel intégrant la santé dans toutes les politiques, pour prendre en compte l’importance des
déterminants de santé extérieurs au système de soins et l’impact sur la santé des politiques de l’éducation, du logement, des transports, etc. Comment procéder pour renforcer la légitimité
démocratique de ces orientations stratégiques ? 6. CONCERTATION, PARTICIPATION, DÉLIBÉRATION Une piste prometteuse pourrait être trouvée du côté de la délibération citoyenne. Il faut
s’accorder sur le sens de la délibération et sur ce qu’elle n’est pas. La simple concertation, entre représentants des parties prenantes, n’assure pas la qualité délibérative du processus.
On ne peut certes que reconnaître l’intérêt d’approfondir cette concertation au sein des instances représentatives que sont la Conférence nationale de santé ou les conseils territoriaux de
santé. La concertation sur les besoins de santé, institutionnalisée au sein des instances de démocratie sanitaire, pourra ici être analysée en tant qu’instrument de l’action publique, qui
engendre à la fois des effets cognitifs (produire un cadre d’analyse partagé) et des effets d’agrégation (unifier un réseau, porteur de ce que Michel Callon a appelé des activités de
traduction entre acteurs hétérogènes). Mais il s’agit ici de concertation entre représentants, inscrits dans des logiques d’appropriation de l’outil, non de délibération citoyenne.
Approfondir la dimension délibérative des choix d’allocation en santé ne signifie pas non plus seulement promouvoir la participation directe des citoyens à leur instruction. Le recueil, lors
de réunions publiques ou même par sondage, de l’expression citoyenne sur les besoins de santé est une piste mise en avant par de nombreux acteurs de la démocratie sanitaire. La pratique est
promue dans la réalisation de nombreux « diagnostics territoriaux partagés » au sein des conseils territoriaux de santé. C’est bien cette dimension d’expression directe qu’entendait
défendre le projet de RIP. Ces dispositifs participatifs permettent l’expression citoyenne sur les besoins de santé ressentis et ont le mérite de reconnaître une forme d’expertise «
expérientielle » indispensable à l’approfondissement de la démocratie sanitaire. Mais ils ne disent rien des conditions dans lesquelles on entend promouvoir la formation des citoyens aux
enjeux de la juste allocation des ressources en santé. Or ces conditions nécessaires à une expression éclairée sont une part essentielle de la qualité démocratique du débat que l’on cherche
à favoriser. Comme l’a montré Bernard Manin, la légitimité démocratique que l’on recherche dans l’expression citoyenne ne tient pas seulement à ce que tous auront pu parler ; mais plus
essentiellement à ce tous auront été conviés à une discussion balancée sur les justifications de la décision. C’est le sens de la distinction entre participation et délibération qu’il
résumait ainsi dès 1985 : « La décision légitime n’est pas la _ volon_ té de tous, mais celle qui résulte de la _ délibération de tous_ ; c’est le _ processus de formation_ des volontés qui
_ _ confère sa légitimité au résultat, non les volontés déjà formées ». Les formats délibératifs comme les panels citoyens sont-ils une approche convaincante en matière de politique de santé
? La santé vient au deuxième rang des secteurs que la démocratie délibérative a le plus investi à l’échelle des pays de l’OCDE .