Temps gagné ou temps perdu ? Pourquoi il faut modifier le cadre cognitif de la décision publique | terra nova

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Un deuxième paramètre s’ajoute pour expliquer la relative limitation de la vaccination pour contrôler l’explosion des hospitalisations : la contagiosité accrue du variant B.1.1.7 dit


britannique. Selon le Conseil scientifique le 11 mars, « l’effet positif des vaccins sera sans doute insuffisant pour éviter une augmentation importante des hospitalisations, du fait de la


transmissibilité accrue des nouveaux variants ». On sait en effet, dès janvier, que le variant B.1.1.7 dit britannique est plus contagieux que la souche classique. La dégradation


exponentielle du nombre de contaminations est donc plus rapide. Les données récentes suggèrent une aggravation sévère de la létalité. Mais même en amont de ces publications, la simple


aggravation de la contagiosité impliquait une augmentation du nombre de cas, et donc, a minima à due proportion, du nombre de formes graves, y compris chez des patients jeunes et sans


facteurs de risque. Or l’alerte sur les variants, « deuxième pandémie » selon les mots de Jean-François Delfraissy le 24 janvier, semble n’avoir pas été pleinement intégrée au référentiel


d’analyse de la décision fin janvier. Huit semaines plus tard, l’idée que « les variants changent la donne » est reprise comme une réalité pour ainsi dire nouvelle par Gabriel Attal à la


sortie du Conseil de défense le 17 mars. Et encore cette prise de conscience tardive n’engendre-t-elle toujours pas de décisions drastiques aujourd’hui pour réduire la circulation du virus.


Les projections du 11 mars du Conseil scientifique, toujours à partir de la modélisation de l’institut Pasteur, restent donc a priori valables à l’heure qu’il est : dans le scénario de base,


avec 200.000 vaccinations par jour avant le 1 er avril puis 300.000 à partir du 1 er avril, et avec 70% des plus de 75 ans vaccinés au 1er avril 2021, on s’attend à une baisse de 28% des


hospitalisations le 1er avril 2021 et de plus de 50% en mai par rapport à un scénario sans vaccin. Mais pour autant, « sans réductions supplémentaires des taux de transmission et avec


l’effet des variants, on peut s’attendre à observer un pic d’hospitalisations supérieur à celui de mars 2020 ». L’augmentation exponentielle des contaminations quotidiennes n’est donc pas un


problème que l’on pourrait choisir de résoudre ou pas, en fonction de ce qu’aura donné la vaccination dans l’intervalle pour atténuer le problème de la submersion de l’hôpital. Il n’y a pas


de bon timing permettant de gagner du temps sur ce problème-là en résolvant le problème de la vulnérabilité des plus à risque. La nécessité de combiner la vaccination avec une ambition


forte de contrôle de la circulation virale par des restrictions sociales est soulignée dans la littérature internationale ; ce n’est pas une spécificité des modélisations françaises, et cela


vaut indépendamment du rythme de la campagne. On oublie parfois que le succès de la campagne vaccinale israélienne est inséparable d’un confinement strict commencé à Noël et levé début mars


quand plus de la moitié des Israéliens avaient reçu une première dose et environ 40% les deux doses. Même les hypothèses les plus favorables concernant la campagne vaccinale ne permettent


pas de l’envisager comme une alternative aux leviers de contrôle « non-pharmaceutiques » permettant de réduire les interactions sociales. Comme l’a montré une modélisation récemment parue


dans _ Lancet _ , la vaccination ne possède pas à elle seule une efficacité suffisante pour ramener le taux de reproduction R 0 au-dessous de 1 et contrôler l’épidémie. Les mesures de


restrictions « non-pharmaceutiques » demeurent nécessaires pour éviter des vagues d’infections répétées, la saturation des hôpitaux, et une surmortalité, même dans un scénario où une


vaccination efficace à 85% pour réduire le risque d’infection (ce qui demeure une hypothèse fragile, cf infra) est acceptée par 95% des plus de 80 ans, 85% des 50–79 ans et 75% des 18–49 ans


(qui sont des hypothèses d’acceptation supérieures à celles retenues dans la campagne vaccinale française). Avec ces hypothèses, une levée totale des restrictions en janvier 2022, à l’issue


d’une campagne vaccinale réussie, se traduirait encore par 96700 décès liés au Covid ; la seule hypothèse favorable pour une levée totale des restrictions en janvier 2022 n’entraînant pas


d’excès de mortalité impliquerait de disposer d’un vaccin efficace à 85% contre l’infection et d’une adhésion à la vaccination supérieure à 85% dans toutes les classes d’âge. Pour les


auteurs, « Même avec un bon taux de vaccination, un part importante de la population doit être immunisée afin de prévenir de puissantes nouvelles vagues de contamination. Ce qui implique que


de fortes actions non-pharmaceutiques seraient toujours nécessaires durant la première phase de vaccination (qui concerne les personnes de plus de 50 ans) afin d’éviter de nouvelles


flambées de contamination ». Elaborer la stratégie de réponse à l’épidémie dans un cadre cognitif qui opposerait vaccination et restrictions paraît donc inapproprié. 4. UN TEMPS FINALEMENT


PERDU Le décalage dans le « puzzling » du problème à résoudre par les autorités se retrouve à un autre niveau, avec un cadrage de la décision qui semble tenir un compte insuffisant de trois


phénomènes que les mesures intermédiaires ont contribué à favoriser, faisant de ces derniers mois non pas un temps « gagné » mais bien un temps dramatiquement perdu. Ces trois phénomènes


sont : la prévalence des « covid longs » chez les personnes infectées, le rajeunissement de la population à risque, et l’émergence des variants. La domination progressive du variant dit


britannique, la circulation sur le territoire des variants sud-africain et brésilien, la conscience enfin du risque d’émergence de nouveaux variants paraissent requérir une reformulation des


raisonnements décisionnels aujourd’hui. Le cadre cognitif de la décision doit désormais intégrer la perspective d’événements qui sont à la fois irréversibles et capables d’annuler, de façon


potentiellement répétée à l’infini, tous les efforts réalisés. Depuis le début de l’année 2021, ce risque est devenu une réalité aigüe mettant en péril les réponses à la pandémie dans tous


les pays. Plus contagieux, plus létaux, capables d’échappement immunitaire (risque de réinfection et perte d’efficacité des vaccins) pour le variant sud-africain et le variant brésilien, ces


mutations « changent complètement la donne » de l’épidémie mais aussi des conditions de la décision en matière de restrictions. En effet, la sélection de nouveaux variants est clairement


favorisée par une incidence hors de contrôle : chaque nouveau cas devenant ipso facto un laboratoire de sélection potentiel de nouveaux variants pour le virus, plus il y a de personnes


contaminées, plus le risque de voir apparaître de nouveaux variants augmente. La circulation favorise la réplication : le processus est indéterminé, mais il peut provoquer l’émergence


successive de nouveaux mutants dont l’avantage sélectif assure alors la domination. Il apparaît aussi qu’une campagne vaccinale progressant à un rythme modéré peut favoriser la pression de


sélection sur le virus et pousser à l’émergence de nouveaux variants. C’est ici un critère important qui intervient dans le cadre cognitif de la décision : car on a là, en cas de décisions


inappropriées, insuffisantes pour contrôler l’augmentation des nouveaux cas et donc offrant un terrain propice à l’émergence de variants, la perspective de conséquences irréversibles à large


échelle qui peuvent éventuellement affaiblir l’immunité de la population, acquise naturellement ou par la vaccination, et en poussant les choses au pire nous ramener quasiment à la case


départ indéfiniment. L’opportunité des mesures de restriction fortes est par ailleurs désormais liée à un deuxième sujet qui modifie le cadre cognitif de compréhension des enjeux de


l’épidémie : la prévalence des « covid longs ». Le sujet n’en est encore qu’à ses premières incursions dans l’agenda des autorités. Pourtant plusieurs acteurs ont souligné qu’une croissance


non-contrôlée des cas engendrait une explosion de ces situations cliniques sur lesquelles les connaissances augmentent et dont la reconnaissance progresse. Le terme « Long-COVID » (pour _


long-term Covid illness_ ) décrit généralement (il n’existe pas actuellement de définition consensuelle) les personnes atteintes de Covid-19 qui présentent des symptômes pendant plus de 28 


jours après le diagnostic. Les symptômes, survenant volontiers chez des patients ayant souffert d’une maladie initialement « légère », sont hétérogènes et peuvent être constants ou


fluctuer. Dès la fin de la première vague épidémique en mai 2020, la persistance de symptômes plusieurs semaines ou mois après les premières manifestations avait été décrite chez plus de 20 


% des patients après 5 semaines et plus, et chez plus de 10 % des patients après 3 mois. Le Conseil scientifique souligne dans son avis du 11 mars qu’une étude française portant sur 1841 


patients ambulatoires, non encore publiée (LIFEN), a établi que 40% de ces patients se plaignaient encore de symptômes 5 mois après leur infection : fatigue, dyspnée, palpitations, maux de


tête, troubles cognitifs ou neurologiques, myalgies et anosmie/dysgueusie. Après une première mention du sujet dans le discours de reconfinement du Président de la République dès le 28 


octobre (« nous ne savons pas dire aujourd’hui quelles sont les séquelles à long terme »), un pas vers la reconnaissance du sujet a été franchi avec la publication de recommandations de


prise en charge par la HAS le 9 février, puis avec la reconnaissance par l’Assemblée nationale le 17 février des enjeux de ces complications au long cours à travers une résolution présentée


par la députée (LRM) Patricia Mirallès. Ce texte non contraignant pose quelques principes, comme l’importance de renforcer la recherche et les parcours de soins de ces patients, principes


qu’Olivier Véran a repris lors d’un déplacement à Nice le 20 février largement consacré à ce sujet. Mais la pondération pertinente de cet enjeu dans les décisions de lutte contre l’épidémie


reste une question ouverte. Il n’est pas exclu que le progrès des connaissances implique dès aujourd’hui de repenser le cadre cognitif de la décision pour inclure cet enjeu dont la


croissance suit celle de l’incidence. Le choix de ne pas intervenir fin janvier pour freiner l’incidence, avec un plateau d’environ 20.000 nouveaux cas détectés chaque jour tout au long du


mois de février, pourrait ainsi s’évaluer à l’aune de plus de 200.000 cas de Covid longs causés sur le seul mois de février, sans compter ceux qui se déclareront éventuellement chez des cas


non-dépistés (dans l’hypothèse d’une prévalence de 40%). 200.000 existences douloureuses, marquées par l’incertitude d’une symptomatologie encore en pleine exploration scientifique, 200.000 


parcours de soins très chaotiques, et probablement très coûteux. Là où l’enjeu prégnant des décisions de 2020 concernait la morbidité et la mortalité des personnes âgées définies comme étant


les plus à risque de formes graves, désormais la prévalence du Covid long, concernant toutes les classes d’âge et sans facteurs de risque, pourrait bien obliger à reformuler le cadre


d’analyse. L’arrivée en réanimation de patients de plus en plus jeunes conduit à la même interrogation. La réalité du risque même chez des personnes de moins de 65 ans n’a jamais été absente


du discours des autorités. Emmanuel Macron soulignait dès l’annonce du reconfinement le 28 octobre : « Aujourd’hui, au moment où je vous parle, 35% des personnes en réanimation ont moins de


65 ans ». Sur ce point, le Premier ministre a bien souligné l’évolution liée au variant britannique lors de sa conférence de presse du 18 mars  : « les arrivées en services de réanimation


concernent des personnes plus jeunes et en meilleure santé que lors des vagues précédentes, et leur durée de séjour à l’hôpital est de plus en plus longue ». Cette réalité, qui se


profilait clairement fin janvier d’après les données anglaises, invite probablement, elle aussi, à une reformulation du cadre cognitif de la décision. Comme la prévalence des Covid longs,


cette réalité paraît pouvoir infléchir le cadre de la décision ; si les alertes en direction des plus jeunes sont présentes dans les discours, la définition du problème à résoudre pour les


autorités paraît encore largement centrée sur les personnes que la souche classique du virus frappait le plus durement. Le refus persistant des autorités d’alerter sérieusement sur la


réalité du risque à l’école, avec son corollaire de circulation virale à l’intérieur des familles, de même que les freins persistants sur le télétravail, participent de cette


problématisation centrée sur les plus âgés. L’application la plus frappante de cette focalisation sur les plus âgés réside bien évidemment dans le choix des critères de priorisation de la


campagne vaccinale. Celle-ci mériterait aujourd’hui une forme de « reset » car son référentiel cognitif et normatif évolue, du fait à la fois de l’augmentation du risque chez les plus


jeunes, et des connaissances scientifiques qui progressent sur la capacité de la vaccination à protéger, non pas uniquement des formes graves, mais aussi du portage infectieux et de la


transmission. Sur ce sujet, les résultats des essais cliniques de Pfizer et de Moderna n’avaient pas donné d’information, puisque leur objectif était de démontrer l’efficacité de la


vaccination pour prévenir l’aggravation de la maladie. En novembre 2020, la stratégie de priorisation a donc été construite par la Haute autorité de santé en retenant « seulement » l’intérêt


individuel de la vaccination, protégeant des formes graves ; l’intérêt « de santé publique » des vaccins, leur contribution à réduire la circulation virale dans la population, n’avait pas


été retenu comme un critère stratégique de priorisation, du fait de son caractère encore non avéré. Mais désormais, les données des campagnes « en vie réelle », en Israël notamment,


suggèrent une efficacité élevée sur ce point-là également, de 89% selon des données en preprint. Même si des confirmations semblent encore attendues pour valider définitivement


l’information, il semble désormais qu’il y ait consensus pour retenir l’idée que les vaccinés ne peuvent pas transmettre le virus, et que la vaccination réduit par conséquent la circulation


virale en population. Le paradigme de la stratégie vaccinale devrait s’en trouver profondément modifié. Le cadre actuel de priorisation voit dans la vaccination le bénéfice d’une prophylaxie


individuelle. Mais si l’objectif devient la prévention de la circulation virale, alors la question de la priorisation devrait légitimement être reposée : les personnes qui ont les contacts


quotidiens les plus nombreux et qui sont donc à la fois le plus exposées et le plus susceptibles, si elles sont infectées, de transmettre le virus, comme les caissiers, les chauffeurs, les


enseignants par exemple, pourraient être considérées comme prioritaires sous cet objectif reformulé. C’est le point qu’a soulevé par exemple tout récemment Yazdan Yazdanpanah , directeur de


l’agence ANRS Maladies infectieuses émergentes. La capacité de la vaccination à réduire la circulation virale en bloquant la transmission a aussi un impact sur l’enjeu de la future


vaccination des enfants. La réduction de la transmission, et sa vertu pour limiter le risque d’émergence de nouveaux variants évoqué plus haut, pourrait être freinée si une sous-population


reste exclue de la vaccination et se comporte comme un réservoir – un risque qui conduit Israël à commencer à vacciner des adolescents, envisageant de vacciner les enfants d’ici l’automne. A


côté de la vaccination et des mesures de restrictions des contacts sociaux, le troisième grand volet d’action contre l’épidémie, c’est le dépistage et son corollaire de traçage et


d’isolement-quarantaine. Sur ce point-là aussi, les orientations stratégiques mériteraient d’être enrichies. En semaine 11, 2,8 millions de tests ont été réalisés. L’essentiel de l’activité


de dépistage repose sur une démarche individuelle : apparition de symptômes, alerte après un contact à risque, voyage, motivent une initiative personnelle. Or d’autres stratégies de


dépistage sont possibles. La santé publique distingue les dépistages individuels, qu’on appelle aussi opportunistes, des dépistages organisés où une population est soumise à une offre


systématique adossée à une évaluation. Dans ce cas, les alternatives à examiner sont multiples : il faut d’abord choisir entre l’obligation et le volontariat ; puis, pour le volontariat, on


peut opter pour des démarches dites « opt-in » (cancer du sein : l’offre est systématique mais chaque femme décide ou non d’entrer dans la démarche) ou « opt-out » (dépistage VIH prénatal :


le dépistage est prescrit dans le suivi de grossesse et effectué par défaut) ; pour favoriser l’adhésion des populations ciblées, les différentes options d’organisation sont pesées pour


favoriser la simplicité de la démarche et le sentiment d’auto-efficacité des personnes (vertu incitative des bénéfices accessibles en aval d’un dépistage positif) ; enfin, il faut anticiper


les défauts d’équité dans l’accès, et examiner les stratégies pertinentes d’ « aller vers » adaptées aux populations les plus éloignées. S’il est vrai que certaines agences régionales de


santé ont pris des initiatives en faveur des stratégies de promotion communautaire de dépistage (stratégies d’« aller vers » ciblées sur les populations qui y recourent le moins,


disponibilité d’une offre au plus près des lieux de vie quotidienne, sur les marchés ou dans les gares, ouverture des lieux de vaccination le week-end et le soir, etc.), il reste que l’on


sait peu de choses sur la mobilisation à grande échelle de ces outils proactifs. Le même constat vaut pour la proposition de systématisation du dépistage sur le lieu de travail, qui vient


d’être adoptée par exemple à Berlin avec obligation aux employeurs de proposer à leurs employés au moins deux dépistages gratuits par semaine, et obligation à ces derniers de s’y soumettre


s’ils sont au contact du public. De même pour ce qui concerne l’offre de dépistage à l’école, les informations disponibles demeurent très limitées : le seul chiffre communiqué lors de la


dernière conférence de presse du ministre est de 200.000 tests salivaires réalisés sur la semaine du 22 mars auprès des 6.600.000 élèves des écoles primaires, soit 0,03 test par semaine et


par enfant (à ce rythme-là, il faudrait plus de 6 mois pour tester l’ensemble de la population concernée). Une offre massive de dépistage permettant de déclencher un traçage et un isolement


efficaces constituerait pourtant, à rebours de la vaccination à son ryhtme actuel, une alternative raisonnable aux restrictions et une option crédible pour « gagner du temps ». Au


Royaume-Uni, ce sont plus de 8 millions de tests qui ont été réalisés en semaine 11 (pour 66 millions d’habitants) ; depuis la réouverture des écoles le 8 mars, chaque membre d’un foyer


britannique qui compte un enfant scolarisé est invité à se faire tester deux fois par semaine , et peut pour cela commander des kits d’auto-tests gratuits et enregistrer ses résultats sur la


plateforme du NHS. Une telle stratégie de dépistage incitative et proactive fait entrer le réflexe dans le quotidien des populations. De ce point de vue, le retard pris dans l’accès aux


autotests en France paraît problématique : alors qu’ils sont vendus en supermarché chez nos voisins, à 5 euros l’unité par exemple en Allemagne, en France la recommandation, déjà tardive, de


la Haute autorité de santé à la mi-mars n’a pas permis d’accélérer la mise à disposition, actuellement annoncée pour la mi-avril, avec probablement des restrictions sur certains publics.


L’outil paraît pourtant apporter une contribution décisive à la lutte contre l’épidémie, selon les conclusions d’une analyse méthodique des bénéfices et des risques liés à ces outils


réalisés par le European Center for disease control (ECDC). En aval des outils de test, les insuffisances de la stratégie d’isolement ont été déplorées par le Conseil scientifique en


septembre 2020 , sans réel débat depuis sur les moyens de la renforcer. Emmanuel Macron avait annoncé dans son allocution du 28 octobre un approfondissement de cette stratégie en sortie de


confinement, sans développement visible depuis. Or il faut souligner que, si la littérature internationale détaille les difficultés que rencontrent tous les pays pour renforcer l’isolement


des cas, elle remarque aussi que le caractère volontaire, et non obligatoire de l’isolement des cas demeure une spécificité française . * Il y a un an, sous l’effet notamment des choix


initiaux au Royaume-Uni, de premiers éléments de débat avaient émergé sur les mérites respectifs de la stratégie dite de « suppression », visant une circulation minimale du virus, et de la


stratégie de « mitigation », adoptant pour maximes le « vivre avec » et l’aplatissement de la courbe des hospitalisations. Depuis, une troisième stratégie, celle du « ZéroCovid », visant


l’éradication, s’est imposée dans le débat public à la faveur des succès de certains pays d’Asie et d’Océanie. Sur la stratégie « ZéroCovid », le message de Gabriel Attal en direction de


ceux qui la prônent a été sans nuances : « Pardon, qu’ils quittent deux secondes leur bureau et qu’ils regardent ce qui se passe dehors : le Zéro Covid est une utopie que même les îles


totalement coupées du monde peinent à appliquer ». La critique est fréquente mais simpliste, et les arguments disponibles en faveur de cette stratégie ne peuvent que conduire à déplorer un


jugement si tranché. Quoi qu’il en soit, si cette piste nouvelle est écartée, force est de remarquer que nous nous sommes écartés tout autant des deux premières stratégies. A la place, c’est


l’axiome « gagner du temps » qui a fait office de mantra. Les nombreux problèmes que cela pose d’un point de vue de santé publique ont été évoqués ici. Ce « temps gagné » sonne finalement


surtout comme l’antienne infernale qui rythme dans l’imaginaire collectif le drame de l’endetté, qui croit « gagner du temps » dans une spirale que seule la faillite vient enrayer, ou encore


l’obsession du joueur, qui mise sur l’incertitude et ne s’arrêtera qu’en un « dernier recours » sans cesse invoqué – et sans cesse différé. Deux remarques pour conclure. La première est


qu’une telle logique du « dernier recours », invoqué ces derniers jours au sujet de la fermeture des écoles et le confinement, fait proprement l’impasse sur la notion même de prévention : la


part d’incertitude que comporte l’anticipation du dommage probable est réputée annuler sa pertinence, et c’est l’action curative « le dos au mur » qui est donnée pour seule raisonnable.


Olivier Véran l’a nettement signifié aux députés le 24 mars  : « Les décisions sont prises lorsqu’elles deviennent absolument indispensables. Il était devenu indispensable, il y a quelques


jours, de prendre des mesures fortes dans certaines régions. Nous prendrons les mesures indispensables chaque fois qu’elles le deviendront et non par anticipation, monsieur le député, car si


l’on anticipe trop, on décide trop tôt, on confine trop et on ne protège pas mieux ». La seconde remarque, c’est qu’une telle philosophie d’action entrave la transparence et


l’intelligibilité de la décision pour les citoyens. Sans seuils d’alerte fixés a priori comme c’est le cas chez la plupart de nos voisins, sans critères de décision établis ex ante, sans


réelle boussole sur les dimensions pertinentes de la décision ni sur les outils disponibles pour les instruire précisément, il ne peut y avoir ni transparence, ni débat public, ni


intelligence collective.