Quand les carrières des femmes se fracassent sur un « échelon brisé »
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L’ouvrage deviendra-t-il la nouvelle référence des managers en matière d’égalité professionnelle dans les grandes entreprises ? Publié ce printemps aux éditions de la Harvard Business
Review, _The Broken Rung_ (L’Echelon brisé) est cosigné par trois associées seniors du cabinet McKinsey, Kweilin Ellingrud, Lareina Yee et Maria del Mar Martinez. COMPLÉTER LA THÉORIE DE «
PLAFOND DE VERRE » Leur propos n’est pas de contredire la théorie du plafond de verre, apparue dans les années 1970 aux Etats-Unis et théorisée en 1987 par trois chercheurs dans un livre
intitulé _Breaking the glass ceiling_ (Briser le plafond de verre), mais plutôt de la compléter en détaillant un phénomène jusqu’alors ignoré : c’est au tout début de leurs carrières que les
femmes ratent le premier barreau de l’échelle symbolique conduisant au pouvoir. Le cabinet de conseil propose un éventail de solutions pratiques pour surmonter cet obstacle, qui s’adresse
autant aux entreprises qu’aux femmes elles-mêmes. LES MAJORS DU CONSEIL EN SOUTIEN À MCKINSEY Il n’échappera à personne que ce livre s’inscrit à contre-courant des idées véhiculées par
Donald Trump, le président américain ayant banni de la sphère fédérale les politiques de diversité, d’équité et d’inclusion (DEI), ainsi que tout le vocabulaire qui s’y rapporte. A l’inverse
d’autres géants du conseil tels Accenture ou Booz Allen Hamilton, qui ont très vite fait allégeance à ce credo anti-woke, McKinsey a préféré contourner l’obstacle. Dans une note interne aux
mots habilement choisis, début février, le numéro un Bob Sternfels a promis de _« continuer à donner la priorité à la diversité dans notre méritocratie »_. LA FRANCE EN POINTE SUR LA PARITÉ
Souvent critiqué pour sa proximité avec les gouvernements, ou avec des personnalités politiques dont Emmanuel Macron lors de sa première campagne présidentielle, McKinsey se distingue
depuis une vingtaine d’années par un engagement féministe sans ambiguïté, même si sa mise en application interne n’est pas toujours évidente. En avril dernier, le groupe qui compte 770
seniors partners (associé principal) dans le monde pour 40 000 consultants, a promu 56 associés au statut de « seniors ». Parmi eux, seulement six femmes ! Les critiques ont fusé lors de
cette promotion pour le moins bancale. Le bureau de Paris, où travaille l’une des six promues de l’année, Theano Liakopoulou, et que dirige une autre femme, Clarisse Magnin, fait un peu
figure d’exception. Il est vrai que la France, en pointe en matière d’égalité hommes-femmes, occupe une place à part au sein du géant du conseil. LE RAPPORT « WOMEN MATTER » (LES FEMMES
COMPTENT) DEPUIS 2014 Sandrine Devillard, alors associé au bureau parisien de McKinsey, est ainsi à l’origine du rapport _Women Matter_ (Les femmes comptent), qui établit un lien entre la
mixité des instances dirigeantes et la performance des entreprises. Publiée en 2007 en partenariat avec le Women’s Forum for the Economy and Society et cosignée par Georges Desvaux et Pascal
Baumgartner, cette étude a ouvert un chemin que McKinsey continue de suivre sans dévier, au moins dans sa doctrine. Lire aussi Depuis 2014, le cabinet publie un rapport annuel intitulé_
Women in the Workplace_ (Les femmes dans le monde du travail), en partenariat avec Lean In, l’association fondée par Sheryl Sandberg (ex-numéro 2 de Facebook) pour promouvoir les carrières
des femmes. Une véritable somme qui fait autorité sur le sujet, positionnant McKinsey comme partenaire de nombreux groupes internationaux pour accompagner leurs politiques de diversité. _The
Broken Rung_ vient consolider l’édifice. DIX ANS D’ÉTUDES SUR LES CARRIÈRES FÉMININES _« Avec mes deux co-autrices, nous avons décidé il y a trois ans de rassembler nos expériences »_,
explique Maria del Mar Martinez, directrice associée au bureau de Madrid qui a été responsable de la diversité pour l’Europe (2018-2021), puis au niveau mondial, jusqu’en 2024. Ayant
participé aux différents travaux de McKinsey sur la place des femmes dans le monde du travail, les autrices avaient repéré un élément qui deviendra la colonne vertébrale du nouveau livre :
_« Le moment où l’on perd un grand nombre de femmes, c’est lors de la première promotion. C’est ce que nous appelons « l’échelon brisé ». Personne ne voit ces femmes qu’on perd, or cela a un
impact sur toute la suite de leurs carrières. »_ ETATS-UNIS : LES FEMMES REPRÉSENTENT 59 % DES DIPLÔMÉS MAIS SEULEMENT 48 % DE NOUVEAUX ENTRANTS SUR LE MARCHÉ DU TRAVAIL Les chiffres que
les trois consultantes avancent sont basés sur dix ans d’études sur les carrières féminines. Aux Etats-Unis, où les femmes représentent 59 % des diplômés de l’enseignement supérieur, elles
ne comptent que pour 48 % des nouveaux entrants dans le monde du travail. Et, au moment où surviennent les premières promotions, elles ne sont plus que 81 pour 100 hommes bénéficiant d’un
avancement. Cette disparité, qui se retrouve à chaque échelon gravi, explique l’important écart qui sépare hommes et femmes au moment d’atteindre les fonctions les plus élevées. Un schéma
qui vaut pour la plupart des pays occidentaux. CAPITALISER SUR SON EXPÉRIENCE Que faire pour réduire, voire éliminer ce biais qui freine les carrières des femmes bien avant qu’elles ne
puissent apercevoir le plafond de verre et qu’elles ne s’y heurtent ? En menant leurs études sur les femmes dans le monde du travail, Maria del Mar Martinez et ses coautrices sont arrivées à
une conclusion (qui peut aussi intéresser les hommes) : _« Seulement 50 % des rémunérations perçues tout au long d’une carrière sont dues au talent et au niveau d’études de la personne
considérée. Les 50 % restants sont le fruit de l’expérience accumulée tout au long de leur vie professionnelle. »_ Or, souligne la consultante, _« les femmes ne bougent pas assez souvent,
elles ne choisissent pas toujours le bon employeur et contrairement à la majorité des hommes, elles ne se dirigent pas spontanément vers les allées du pouvoir. »_ Pour élargir leurs
perspectives de carrières, les femmes doivent _« capitaliser sur leur expérience »,_ estime Maria del Mar Martinez. Il leur faut donc _« construire les compétences qui serviront leur avenir
professionnel, en particulier dans les domaines technologiques, mais aussi chercher des soutiens en se dotant d’un réseau et en choisissant le bon employeur »_. Elles doivent aussi s’occuper
de leur santé mentale, physique et financière, soulignent les autrices ! Pour Clarisse Magnin, associée senior et directrice générale de McKinsey Paris, _« le point, c’est que les femmes
évoluent souvent dans des activités comme les ressources humaines plutôt que dans l’opérationnel. Ce sont des choses qu’elles ne savent pas forcément, ce qui les conduit souvent à avoir des
lacunes dans leur expérience. »_ En 2026, le cabinet de conseil célébrera son 100e anniversaire. L’occasion, explique la dirigeante, de rappeler _« l’importance du capital humain »_ dans le
succès économique et financier des entreprises. Le moment est venu de réaliser que ce capital, si souvent invoqué par les chefs d’entreprise dans leurs discours, est bel et bien composé
d’hommes et de femmes.