
Hamida aman, la porte-voix des afghanes
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Hamida Aman a donné à son projet le prénom de sa grand-mère : Begum. © Crédits photo : C. G. Journaliste, entrepreneuse et activiste suisso-afghane, elle diffuse avec sa chaîne de télé Begum
les programmes scolaires auprès des jeunes Afghanes privées d’école. Sa radio a été suspendue le 4 février 2025. Clémentine Gallot Publié le 30 janvier 2025 MISE À JOUR DU 5 FÉVRIER 2025 :
LES TALIBANS ONT MENÉ, MARDI 4 FÉVRIER 2025, UNE OPÉRATION DE POLICE DANS LES LOCAUX DE RADIO BEGUM ET ARRÊTÉ DEUX EMPLOYÉS. DE SON CÔTÉ, LE MINISTÈRE DE L'INFORMATION A ANNONCÉ LA
SUSPENSION DE LA DIFFUSION DE LA RADIO, A RAPPORTÉ LE JOUR-MÊME LE QUOTIDIEN LIBANAIS _L'ORIENT-LE JOUR_. À 52 ans, Hamida Aman est à la tête de Begum Organization for Women (BOW), dont
la mission est triple : à la fois ONG, média (radio et télévision) et portail de cours en ligne basé entre Paris et Kaboul. Nous la rencontrons au siège parisien, dans le 18e
arrondissement. Des bureaux y sont installés sur deux étages, ainsi qu’un petit plateau de tournage qui fait aussi office de salle de montage et de loge de maquillage. Les journalistes qui
animent la nouvelle chaîne, Begum TV, lancée en mars 2024, sont des Afghanes exilées — selon Reporters sans frontières, huit femmes journalistes sur dix ont abandonné la profession depuis le
retour au pouvoir des talibans en août 2021. Au mur, l’horloge affiche l’heure de Kaboul, soit trois heures et demie de plus qu’à Paris. C’est en Afghanistan que se trouve le gros des
équipes, une centaine d’employés au total. C’est aussi sur place que ce média pédagogique, créé par et pour les femmes, diffuse chaque jour à la radio, à la télé et sur le web l’intégralité
des programmes scolaires du secondaire, de la sixième à la terminale, à raison de huit heures de cours quotidiens (à quoi s’ajoutent des rediffusions, y compris la nuit). En effet, si les
jeunes Afghanes sont encore tolérées à l’école primaire, elles sont interdites d’accès au collège, au lycée et à l’université. _« Depuis l’arrivée des talibans, les familles se sont beaucoup
appauvries et de nombreux enfants ont été mis au travail, _nous_ _explique Hamida Aman, depuis son bureau_. Quand vous êtes une fille afghane, vous avez mille choses à faire. C’est de la
main-d’œuvre corvéable à merci. »_ Ces cours audios et vidéos, qui permettent aux filles de conserver un lien avec l’éducation, sont un pari sur l’avenir : _« Savoir lire et écrire, c’est
indispensable, _avance Hamida Aman._ De plus, on ne sait pas combien de temps cette situation va durer. Le jour où tout cela s’arrêtera, je veux que toutes les filles puissent retourner à
l’école. »_ LA SUISSE, UN PASSEPORT VERS LA LIBERTÉ La cheffe d’entreprise s’exprime dans un français impeccable, appris durant son adolescence en Suisse, où sa famille s’est exilée en 1981,
pour faire soigner sa mère gravement malade. Une expérience fondatrice pour la jeune fille : «_ La première chose que la Suisse m’a donnée, c’est une nationalité et un passeport. Cela a été
un sésame vers la liberté, pour voyager et voir le monde. _» Installée à Lausanne où vivait déjà son oncle, elle se souvient avoir été «_ très bien accueillie _» : « _J’ai eu la chance
d’aller dans des bonnes écoles et d’avoir les mêmes opportunités que les petits Suisses. La Suisse m’a permis de me construire et de devenir celle que je suis. _» Avant ce départ précipité,
la famille vivait à Kaboul où Hamida fréquentait jusqu’à l’âge de 8 ans une prestigieuse école française, comme sa mère avant elle. Cette dernière est alors fonctionnaire au ministère de la
Culture et son père fonctionnaire dans l’armée. Ses souvenirs d’enfance sont marqués par une relation fusionnelle avec ses grands-parents. « _Toute mon afghanité vient de mes grands-parents,
qui ont joué un rôle d’éveil et de transmission culturelle._ _Mes parents étaient plus modernes. _» Plus tard, elle donnera à son projet le prénom de sa grand-mère : Begum. Le média et
l’ONG sont nés en 2021, au retour des talibans. C’est à ce moment-là qu’elle doit fermer sa première entreprise, la société de production audiovisuelle Awaz Communication, lancée lors de son
retour en Afghanistan, après le 11-Septembre. Elle avait alors commencé sa carrière de journaliste en Suisse, pour _24 heures_ et le défunt titre _L’Hebdo_. En 2021, après vingt ans sur
place, elle quitte à nouveau le pays mais assure y retourner tous les deux mois. FRED ET JAMY EN PACHTO Aujourd’hui, sa radio est diffusée dans 20 des 34 provinces que compte le pays. En
l’absence de mesures de Médiamétrie, elle estime qu’elle toucherait entre 5 et 10 % de la population, soit 6 millions d’auditeurs potentiels. Avec une programmation qui s’adresse aussi aux
parents, via des émissions dédiées au soutien psychologique, à la santé et à la religion. Sur Begum TV, les soirées sont consacrées au prime-time et au divertissement, avec des séries
indiennes et même l’émission « C’est pas sorcier », avec Fred et Jamy doublés en pachto et en dari, les deux langues officielles. Plus étonnant encore : cette idée géniale, celle de
s’adresser directement, chez elles, aux jeunes filles privées de liberté, a vu le jour en toute transparence. Car Radio Begum est diffusée en FM six jours sur sept avec l’autorisation du
ministère de la Culture et de l’Information. « _Begum est un cas intéressant car Hamida étant afghane, elle a un pied à l’extérieur et un pied à l’intérieur, _analyse Victoria Fontan,
vice-présidente de l’Université américaine d’Afghanistan, qui la côtoie régulièrement_. Elle arrive à naviguer avec les contraintes imposées par le régime car, pour l’instant, aucune loi
n’interdit d’écouter un cours de math à la radio. C’est très intelligent. Et elle parvient à survivre sans vendre son âme. »_ > « Hamida ne lâche rien, c’est son combat et elle est >
déterminée » La longévité de Begum semble toutefois providentielle : « _Chaque matin, je me dis que c’est un petit miracle qu’on soit encore là _», confirme sa patronne. Et si la chaîne de
télé est diffusée par satellite depuis Paris, l’ONG n’est protégée des ingérences talibanes que jusqu’à un certain point. « _Sur les programmes de divertissement, on s’est fait reprendre_,
reconnaît Hamida Aman. _On nous a dit que les présentatrices riaient trop et que l’on devait arrêter de prendre à l’antenne des appels d’hommes. Mais ils ne nous ont pas demandé d’arrêter
les programmes de cours…_ » Pour le moment. Car la liberté de la presse en Afghanistan est régulièrement piétinée : selon Reporters sans frontières, en 2024, les autorités ont fait fermer au
moins 12 médias publics et privés. Le risque de fermeture ou même d’emprisonnement est donc bien réel. Quant à ses auditrices, elles ont encore le droit d’écouter la radio et de regarder la
télévision, mais jusqu’à quand ? Les femmes afghanes sont en effet progressivement chassées de l’espace public, et sont régulièrement la cible de nouvelles restrictions. Ainsi, depuis août,
elles ne sont plus autorisées à chanter ou lire à voix haute en public. Fin décembre, les autorités ont annoncé l’interdiction de construire des fenêtres donnant sur des endroits utilisés
par les femmes. Dans ces conditions, l’opiniâtreté est de mise : « _Hamida ne lâche rien, c’est son combat et elle est déterminée, _dit d’elle une de ses amies_. Elle a l’habitude de se
réinventer, elle a plein d’idées et elle très bien entourée. » _Son époux, Christian Marie, avec qui elle a deux ados, travaille en effet à ses côtés depuis vingt ans. GARDER ESPOIR Ces
derniers temps_, _composant avec la lourde responsabilité de porter la voix de ses compatriotes à l’étranger, elle s’efforce de_ _jouer le jeu médiatique et politique : porteuse de la flamme
olympique l’été dernier, on l’a aussi vue à la barre des Nations Unies en septembre. Une manière d’attirer l’attention pour celle qui se désole de la passivité de la France et de l’Union
européenne face à la situation afghane. Elle martèle : « _L’aide internationale a été coupée pour ne pas aider le régime, mais là-bas, tout s’est écroulé, la population meurt de faim. »
_Begum, qui a ouvert une campagne de financement participatif, pâtit également des embargos financiers car ses ressources proviennent de fonds étrangers, notamment des Nations Unies et du
ministère des Affaires étrangères français (850 000 euros en 2023)._ _Une_ _dégradation de la situation qui inquiète Hamida Aman : « _Plus le temps passe, plus il est compliqué pour les
élèves de rester motivées. Elles se disent : à quoi bon ?_ » Ce qui ne l’empêche pas de lancer d’autres projets pour 2025 : la diffusion des programmes scolaires de primaire, mais aussi
l’accompagnement de femmes afghanes dans la création d’entreprise. Yousuf Jan Nesar est parvenu à quitter l’Afghanistan et à sauver près de 5 000 heures d’archives audiovisuelles, désormais
conservées à l’INA. Récit. FEMMES DANS LES MÉDIAS : RÔLES DE DAMES - ÉPISODE 6/9 L’expansion de la télévision a accompagné l’évolution de la société française d’après-guerre. Jusqu’à quel
point ? Retour au travers du petit écran sur soixante-dix années très diverses, parfois contradictoires, de représentations des femmes et de luttes pour les droits des femmes.