
Les « bonnes nouvelles », l’arme qui se multiplie pour lutter contre la fatigue informationnelle
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« Vert », « Le Monde », « Libération », « Les Échos » : quatre exemples de médias qui mettent en avant leurs articles positifs. © Crédits photo : montage La Revue des médias Face à une
actualité jugée morose au point de parfois faire fuir les lecteurs, plusieurs médias mettent en avant les informations susceptibles de leur remonter le moral. Avec quel succès ? Sabine Blanc
Publié le 04 juin 2025 Même le très sérieux_ Le Monde _s’y est mis : ces dernières années, les formats mettant en avant les informations « positives » essaiment dans la presse. Certains
parlent de contenus « inspirants », « concernants », « pédagogiques ». _« Si on dit “il faut faire du positif”, c’est tout de suite cucul »_, estime Paul Quinio, directeur délégué de la
rédaction de _Libération_, qui s’est lancé dedans, avec « Ça va mieux en le lisant ». La mise en place de ces formats est directement liée à une actualité jugée particulièrement morose, au
point de parfois faire fuir les lecteurs : la fameuse « fatigue informationnelle ». _« La newsletter “__Fil Good_”_ est née en 2020 d’une réunion de la direction de la rédaction, après le
Covid et l’assassinat de Samuel Paty ; l’ambiance était sinistre,_ se souvient Françoise Tovo, directrice déléguée au développement des services abonnés, qui la co-gère. _Luc Bronner, alors
directeur des rédactions du _Monde_, lance : “Si ça continue, on va mourir de tristesse et nos lecteurs avec nous. Nous écrivons pourtant des articles sympas mais on ne les voit pas.” »
_C’est aussi une période où les lecteurs, dans les lives sur le Covid, _« racontent des petites joies, des choses qui nous semblaient trop petites avant pour en parler. Nous nous sommes dit
que si cela nous faisait du bien, cela pouvait en faire au lecteur »_, complète-t-elle. Ajoutez à cela qu’une partie de la rédaction était désœuvrée en raison des restrictions sanitaires
(autour du sport ou de la culture) et les conditions étaient réunies pour se lancer, en format quotidien. TENIR LA PROMESSE Pour _Vert_, un jeune journal en ligne dédié à l’écologie, thème
anxiogène si l’en est, c’était une évidence : _« Notre média a deux piliers : comprendre et agir. La rubrique __“Les rafraîchissements”__ alimente ainsi le pouvoir d’agir_, explique sa
présidente, Juliette Quef. _C’est plus une intuition de départ, déclinée sur les réseaux sociaux : le dimanche, notre “chief LOL” Gaëtan Gabriele __danse__ sur les bonnes nouvelles._ » Tenir
la promesse n’est pas toujours évident. _« Honnêtement, il y a des semaines où c’est difficile. Parfois nous mettons en avant juste la note positive d’un article, par exemple __la place des
femmes dans les Comex__ »_, indique Marie Scutiero, chargée des réseaux sociaux aux _Échos_. Le journal économique a mis en place des posts sous forme de sélection destinés uniquement à
LinkedIn et Instagram, visant une audience plus jeune et publiés _« avant le week-end ; c’est une bulle pour décompresser »_. Peiner à trouver du positif ? _« C’est rare mais cela peut
arriver, _détaille Françoise Tovo_. Parfois, nous manquons de diversité de contenus : il faut arriver à sortir du lifestyle [qui fait par ailleurs l’objet d’une rubrique, NDLR]. Le défi,
c’est d’avoir un article économique, un article international, culture, etc. »_ UN JOURNALISME DE SOLUTIONS ? Les approches pour nourrir ces formats divergent. _Vert _assume de verser
parfois dans le journalisme de solutions, avec des articles dédiés, _« plus pratiques »_, pour l’alimenter. Au _Monde_, ce terme est persona non grata. _« Nous n’avons pas décidé de créer
une newsletter positive, ce n’est pas le genre de la maison : on doit raconter le monde, il y a des choses négatives et des choses positives_, martèle Françoise Tovo. _Nous ne sommes pas
convaincus par le journalisme de solutions. Les gens que nous interrogeons peuvent apporter des solutions éventuellement, mais nous ne faisons jamais de commandes “Fil Good”, on fait du
journalisme “normal”. »_ Ce qui explique selon elle qu’elle soit bien acceptée en interne :_ « Elle ne contredit pas la ligne, c’est de la réutilisation. »_ > « Raconter ce qui ne va pas
restera l’essentiel de notre > métier » À _Libération_, la mise en place de _« Ça va mieux le lisant » _est issue d’un plan de relance numérique abordant notamment la question de la
fatigue informationnelle. _« Nous voulons éviter un journal qui ne propose que du plombant et du dramatique,_ justifie Paul Quinio. _Cet effort concerne tout le monde. Même sur un sujet
comme l’environnement, nous pouvons trouver des histoires qui ne sont pas noires à 100 %. »_ Ce qui demande «_ de la pédagogie auprès de l’équipe, _explique-t-il : _spontanément, les
journalistes en presse généraliste vont chercher l’inverse. Il faut que ça infuse dans la rédaction, c’est plus un état d’esprit à faire évoluer. »_ Paul Quinio insiste toutefois : _« Il n’y
a pas d’objectif chiffré, il ne faut pas le faire pour le faire. Raconter ce qui ne va pas restera l’essentiel de notre métier, je n’en ai aucun doute. »_ Une approche qui suscite _«
parfois des sarcasmes, des interrogations sur la pertinence de cette verticale,_ indique Frantz Durupt, gérant du bureau de la Société des journalistes et du personnel de _Libération
_(SJPL). _Mais cela ne plombe pas les relations dans le journal. »_ Et de souligner que c’est un _« vieux débat : le rôle des journalistes est-il de signaler uniquement les trains qui
arrivent en retard ? »_ LES LECTEURS PLUTÔT DEMANDEURS Ces formats font-ils surtout du bien aux journalistes ou rencontrent-ils aussi le succès auprès des lecteurs ? _« Nous avons beaucoup
de retours qualitatifs, _assure Juliette Quef, de _Vert_. _Les lecteurs nous disent qu’ils ne sont pas déprimés en fin de newsletter. Nous avons également de nombreux retours dans les apéros
du Club [destinés aux donateurs mensuels, NDLR] : beaucoup de gens nous découvrent via les bonnes nouvelles. Et elles suscitent de l’engagement. » _Un engagement précieux pour ce média qui
se finance par sa communauté. À _Libération_, Paul Quinio avance le chiffre de _« presque 15 000 visites par article en moyenne »_, un score _« juste un peu au-dessus de la moyenne »_. Aux
_Échos_, les posts qui fonctionnent le mieux restent_ « ceux portant sur de mauvaises nouvelles », _indique Marie Scutiero_. _Les sélections de bonnes nouvelles suscitent _« peu
d’interactions mais elles sont positives »._ Si l’objectif de rajeunir la cible est atteint, _« il est difficile de quantifier le lien »_, reconnaît-elle. Au _Monde_, le succès est bien
mesuré. _« À sa naissance, “Le Fil Good” a eu du succès, il y a eu l’émergence d’une vraie communauté,_ se rappelle Françoise Tovo. _Mais début 2022, nous n’avions plus assez de bras et
d’énergie pour continuer. »_ L’annonce de l’arrêt suscite _« une avalanche de messages de détresse, _sourit-elle :_ “C’était notre bouffée d’air, on n’en peut plus de l’actu !” » _Après une
suspension, elle est donc relancée en septembre 2022 sous format hebdomadaire. Aujourd’hui, le rendez-vous semble s’être installé alors qu’il _« n’avait pas été pensé pour être pérenne, nous
pensions que cela perdrait de son intérêt. »_ La newsletter affiche ainsi _« 115 000 inscrits, soit la troisième en termes d’inscription sur 25, et c’est la première newsletter manuelle [ce
n’est pas un simple agrégat d’articles, elle contient un texte rédigé pour les valoriser, NDLR] »_, se félicite-t-elle. Le taux d’ouverture, qui tourne autour de 45-50 % est_ « tributaire
de l’objet du mail : [ce qui fonctionne le mieux concerne] le sexe bien sûr, mais aussi tout ce qui a trait à des émotions positives, comme le bonheur, le partage, la tendresse… » _Surtout,
fait-elle valoir, _« il y a plus important que le taux d’ouverture : cela crée un autre rapport au lecteur, c’est un espace un peu à part, au ton différent, moins guindé. Cela ouvre des
champs de réflexion. »_ Une thématique inhabituelle s’impose dans la presse généraliste : la parentalité. Comment élever ses enfants et comment on fait famille aujourd’hui ne sont plus des
sujets exclusivement associés à la presse féminine ou spécialisée et sont désormais considérés comme sérieux par les grands médias.