Procès des viols de mazan : faut-il nommer les accusés?

Procès des viols de mazan : faut-il nommer les accusés?


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Des coaccusés, protégés par des masques chirurgicaux et des casquettes, arrivent au tribunal, à Avignon, le 10 septembre.  © Crédits photo : Christophe SIMON / AFP Dans l’affaire Pelicot,


l’identité du principal accusé, Dominique Pelicot, est révélée, tandis que l’anonymat des 50 autres coaccusés est maintenu dans la plupart des médias. Pourquoi ?  Sidonie Sigrist Publié le


30 septembre 2024 Ils sont 51 à être jugés par la cour criminelle du Vaucluse pendant quatre mois, depuis le 2 septembre 2024. Cinquante hommes accusés d’avoir accepté la proposition de


Dominique Pelicot : violer sa femme, Gisèle Pelicot, qu’il droguait avant de la livrer à ces inconnus. Certains sont identifiés par les médias. D’autres non. Pour quelles raisons ? « _Lors


d’un procès public comme celui de Mazan, pour lequel la victime a autorisé la publicité, les journalistes ont tout à fait le droit de nommer les accusés, tant qu’ils respectent la


présomption d’innocence _», explique Virginie Marquet, avocate spécialiste en droit de la presse. Elle précise que la loi de 1881 sur la liberté de la presse présente cependant des


exceptions. Les journalistes n’ont pas le droit, notamment, d’identifier les mineurs ou les victimes dans le cas d’une affaire d’agression ou d’atteinte sexuelle. REFUS DU HUIS CLOS « _Au


départ_, _le nom Pelicot n’était pas voué à sortir, non pas pour protéger Dominique mais Gisèle Pelicot _», résume Élise Costa, chroniqueuse judiciaire pour Arte Radio et Slate, pour qui


elle couvre le procès à Avignon. Or, lorsque Gisèle Pelicot refuse la tenue du procès à huis clos, début septembre, et accepte de témoigner à visage découvert, cette exception prévue par la


loi tombe et, avec, l’anonymat de l’ex-mari, le principal accusé. Élise Costa poursuit : _« C’est intéressant de voir comment, par ce choix, Gisèle Pelicot s’est réapproprié ce nom, associé


à l’accusé, à la honte, pour s’adresser aux victimes de violences sexuelles. _» Dominique P. devient alors Dominique Pelicot dans la presse. Pourquoi, alors, une différence de traitement


éditorial entre ce dernier et l’anonymat partiel des 50 hommes qui peuplent les bancs des accusés ? L’identification des mis en cause dans une affaire ou un procès est une question qui anime


les journalistes des services société. Si la personnalité est publique, elle est presque systématiquement citée. En revanche, l’identification des inconnus relève d’un choix éditorial,


rarement explicité aux lecteurs. Et dans le cas de ce procès, le nombre vertigineux d’accusés complique la réflexion. « _Au début, je voulais mettre les noms de tout le monde, _relate_


_Laurent d’Ancona, chef du service police-justice à _La Provence_. _À partir du moment où Gisèle Pelicot lève courageusement le huis clos et fait de ce procès un message puissant contre le


patriarcat, les violences conjugales, le viol… Il semblait qu’il fallait respecter sa parole, il y aurait eu une incohérence à ne pas mettre le nom des coaccusés_. » Puis le journaliste


s’est ravisé : sur les six pages consacrées aux portraits des 50 coaccusés, dans l’édition du 12 septembre, seul leur prénom et l’initiale de leur nom sont mentionnés. « _C’est une affaire


qui a un tel retentissement médiatique, sur un périmètre très restreint, avec toutes les familles sur place… D’une part, il y a un risque d’homonymie et d’autre part, j’ai pensé à la famille


et aux enfants des coaccusés_… » Laurent d’Ancona a donc privilégié une anonymisation partielle, un choix éditorial qu’il justifie ainsi : « _Si on anonymise totalement, on laisse planer le


fantasme, exploité par la fachosphère, qu’il existe un certain profil-type du violeur. Les prénoms et les professions cassent cette idée-là et montrent la pluralité des profils, ça raconte


la culture du viol_. » De son côté,_ Ouest-France_ s’est doté d’une charte des faits divers et de la justice, créée en 1990 et révisée en 2023 pour homogénéiser les pratiques de ses 58


rédactions locales, notamment en matière d’identification, et dont voici les grandes lignées résumées par Philippe Boissonnat, rédacteur en chef : _« Pendant la procédure, on peut donner


l’identité d’un mis en cause s’il est écroué. Lors d’un procès, si la personne comparaît détenue, nous l’identifions dans nos articles. Et si la peine prononcée est supérieure ou égale à un


an de prison ferme, on donne aussi l’identité. La justice ne doit pas être une boîte noire_. _Donc chez nous, c’est identité ou anonymat_. » > « La justice ne doit pas être une boîte 


noire » Pourtant, dans le cas du procès des viols de Mazan, _Ouest-France_ fait une entorse à sa ligne habituelle en mentionnant les coaccusés par leur prénom et l’initiale de leur


patronyme. « _On n’a pas encore de journaliste sur place, _se défend_ _Philippe Boissonnat lors de notre entretien le 17 septembre. _On pensait que le procès se tiendrait à huis clos. Est-ce


que, une fois sur place, on fera un même traitement pour tous ? Les accusés qui comparaissent détenus, le sont-ils pour des faits relatifs à cette affaire ou non ? Cela demandera une


concertation : la charte est une boussole, aucune boîte à outils n’a de réponses définitives_. » RÈGLES TACITES À France Inter, pas de charte mais des règles tacites. Jean-Philippe Deniau,


chroniqueur judiciaire de la radio, illustre : « _La personne mise en cause a-t-elle une existence publique ? Je ne vais pas anonymiser, par exemple, Nicolas Bedos _[jugé le 26 septembre


pour agressions et harcèlement sexuels, NDLR]._ Par ailleurs, je me pose toujours la question de l’intérêt journalistique de divulguer le nom d’un prévenu ou d’un accusé. _» S’il avait


couvert le procès d’un homme accusé de viol (hors personnalité publique), il ne l’aurait pas identifié. Or, à Avignon, Dominique Pelicot, _« de par les faits qui lui sont reprochés, entre


dans l’histoire judiciaire »_. Le reste des coaccusés représente _« une majorité d’hommes poursuivis pour un viol, à l’exception de quelques-uns. Il y a en quelque sorte 50 procès d’hommes


qui ont commis un viol. »_ DROIT À L’OUBLI « _Je suis partagé, _explique Henri Seckel, envoyé spécial à Avignon pour _Le Monde_. _Je comprends les arguments en faveur de __l’anonymat__


_[choix retenu par sa rédaction, NDLR] _car aujourd’hui, avec Internet, tout est archivé, il n’y a pas de droit à l’oubli. Les coaccusés n’ont pas tous le même degré de culpabilité, de


dangerosité. Mais si ça ne tenait qu’à moi, je préférerais nommer les gens. Le procès est un moment public. _» Les rédactions télé ne sont pas épargnées par ces interrogations. Pauline


Guigou, journaliste pour France 3 Régions, questionne d’ailleurs sa pratique différenciée. « _J’ai identifié l’un des coaccusés _[Jean-Pierre M., NDLR]_ dans l’un de mes sujets, après


consultation et accord de son avocat, qui donne d’ailleurs systématiquement son nom, et après discussion avec ma rédactrice en chef. Il reconnaît les faits depuis le début. Mais cet


après-midi, je ne donnerai pas les noms de ceux qui comparaissent libres. Pourquoi prend-on des pincettes pour certains accusés et pas pour d’autres ? Peut-être que la diffusion des noms sur


les réseaux sociaux, en début de procès, a mis de l’huile sur le feu, a participé à un certain climat de tension_. » La liste des coaccusés a été diffusée en ligne, une information publique


mais qui, selon la formulation — les qualifier de violeurs par exemple — porte atteinte à la présomption d’innocence. > « Nommer ne veut pas dire aller à l'encontre de la 


présomption > d'innocence » Au _Dauphiné Libéré_, pas d'entorse à la ligne éditoriale habituelle : les accusés du procès des viols de Mazan sont nommés. La couverture est


assurée par les journalistes de la rédaction de _Vaucluse Matin_, un titre du _Dauphiné Libéré_, et les articles sont par ailleurs repris dans certains journaux du groupe Ebra (_Le Progrès,


L'Est Républicain_...). Guy Abonnenc, rédacteur en chef du _Dauphiné Libéré_, explique ce choix : _« On a décidé de s'en tenir à nos règles d'usage, de ne pas faire


d'exception et de traiter ce procès comme n'importe quel autre procès pénal en identifiant les accusés. Nommer ne veut pas dire aller à l'encontre de la présomption


d'innocence, c'est une affaire d'écriture. » _ EXPLIQUER LES CHOIX ÉDITORIAUX Le procès, qui se tient à Avignon, va durer jusqu’à mi-décembre. Sa couverture médiatique ne sera


pas constante. Outre le choix éditorial de protéger l’entourage des mis en cause (plus que les coaccusés eux-mêmes), la rédaction de l’AFP s’est interrogée sur l’égalité du traitement


médiatique. Isabelle Wesselingh, directrice du bureau régional de l’AFP à Marseille, développe par mail : « _Comme nous n’allons très vraisemblablement pas évoquer ces 50 accusés un à un


dans notre couverture, il nous semble difficile d’en identifier quelques-uns, les autres échappant au tribunal médiatique juste parce que notre couverture n’aura pas mis leur cas en


lumière._ […] _L’AFP étant une agence de presse internationale, nos informations sont diffusées dans le monde entier, en plusieurs langues, d’où une responsabilité accrue de notre part. »_


Les différences de traitements médiatiques participent à un climat de suspicion à l’égard des journalistes et des médias en général. En illustre une anecdote relatée par Philippe Boissonnat,


à _Ouest-France_ : « _On nous a vigoureusement reproché d’avoir protégé un “vieux notable” car nous ne l’identifions pas dans un article, contrairement à un autre homme, sur la même page,


poursuivi pour une histoire de vol de carburant. Mais nous n’avions pas le droit : identifier l’accusé aurait révélé l’identité de la plaignante, mineure et victime d’agression sexuelle_. »


La rédaction a, dans un deuxième temps, expliqué cette différence de traitement éditorial aux lecteurs. Et c’est peut-être une habitude à prendre, de la part des rédactions, dans les


affaires médiatiques ou plus confidentielles : expliciter leurs choix éditoriaux, qu’ils soient cadrés par la loi ou le fruit d’une réflexion concertée, réflexion sans cesse renouvelée.