
Le temps qu’il me reste: une leçon de vie depuis l’au-delà
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Comme le papillon qu’elle s’était fait tatouer sur le bras deux semaines plus tôt, la Gatinoise s’est envolée le 2 décembre 2024, à la date et de la façon qu’elle avait choisi. Certains
seront tentés de parler de «suicide». Pourtant, Josée Nadeau est partie sereine, dans le calme et les éclats de rire, entourée de sa famille et de ses proches, qui auront eu le temps de
donner et recevoir leur ultime câlin. Parmi les gens qui assistaient – à contrecœur, mais à cœur bienveillant – à ces derniers adieux se trouvaient aussi le Dr Jacques Pilon, ainsi qu’un
vieil ami, le réalisateur Randy Kelly qui, larme à l’œil et caméra en main, n’en ratait pas une miette. À LIRE AUSSI Le Dr Pilon était l’un des deux médecins ayant accepté et supervisé la
demande d’aide médicale à mourir (AMM), de Josée Nadeau. Randy Kelly a de son côté filmé et documenté les derniers mois d’existence de son amie. Son clap final s’arrête à la chambre à
coucher où elle se faufilera en compagnie de l’infirmière qui, intraveineuse en poche, lui administrera son cadeau final derrière la porte close. Non, les jours de Josée Nadeau n’étaient pas
«comptés», mais elle était, depuis des années, en proie à d’atroces douleurs... et elle se savait condamnée au même insupportable mal pour le restant de ses jours. À une «vie qui se
rétrécit», trop tôt et trop vite. insupportablement. Elle a voulu s’en libérer. Elle a donc eu recours à un volet «méconnu», car récemment implanté, de l’AMM dont peuvent se prévaloir les
personnes qui, sans être directement condamnées par leur(s) maladie(s), souffrent de douleurs chroniques intenses, sans pouvoir s’accrocher à l’espoir de traitements médicaux pouvant
atténuer le mal ou améliorer de façon significative leur qualité de vie. Mais Josée a surtout tenu à expliquer sa décision. À inviter le monde à repenser le droit de vivre et de mourir
dignement. Car son geste – cette quinquagénaire athée ne l’ignorait pas – ébranle les convictions et repères hérités de la morale judéo-chrétienne. CÉLÉBRER LA VIE Le réalisateur a donc
suivi, à la demande de son amie, cette fin de parcours faite de plus de sourires que de larmes. Faite de joies et de chansons. De soleil et de soulagement. D’une _bucket list_ dont Josée,
pressée par le temps dont elle dispose avant de rendre l’âme au néant, s’efforce de cocher les cases une à une. Faite d’une «clairvoyante» _I Can See Clearly Now_ (que cette ex-chanteuse de
jazz interprètera sur scène quelques semaines avant sa mort), d’une session de tatouage en famille (à laquelle a participé sa mère Madeleine, âgée de 78 ans) et d’une longue balade à moto
(évidemment contre-indiquée, après quatre opérations chirurgicales au dos). Avec, pour point d’orgue, une ultime supplique: «Célébrez ma vie, plus que mon décès». Radio-Canada diffusera
samedi 31 mai (à 22 h 30) _Le temps qu’il me reste_, le très touchant documentaire que Randy Kelly a consacré à son amie au seuil de la mort. Un documentaire (de 52 minutes) à la croisée des
chemins entre le portrait, l’hommage et l’adieu. Au centre duquel une femme, debout malgré la douleur, souriante malgré l’agonie, nous donne une leçon de vie. Qui, paradoxalement, continue
de résonner depuis l’au-delà. > Au fil des images, les proches de Josée Nadeau apprennent à > retenir non pas leurs larmes, mais leur «égoïsme». Un égoïsme > naturel et
compréhensible dont ils allaient pourtant devoir se > départir afin d’épauler qui son amie, qui sa sœur, sa fille, sa > cousine ou sa «jumelle cosmique», de la manière dont elle le
> souhaitait, elle. La malade ne voulait pas qu’on s’apitoie sur son sort, et encore moins qu’on essaie de la faire changer d’avis. Elle voulait seulement être comprise. Et soutenue
indéfectiblement. DRÔLE, DIRECTE ET GÉNÉREUSE Randy Kelly et Josée Nadeau ont lié leur amitié sur les bancs de leur école secondaire. Ils se sont par la suite brièvement recroisé «à
l’université, dans les corridors et à la “cafète”», mais ils s’étaient largement «perdus de vue durant 33 ans», concède le documentariste. Ce, jusqu’à ce qu’elle le recontacte en lui
soumettant cette idée de film sur une trajectoire de vie à laquelle l’AMM mettrait précipitamment fin. Malgré ces «circonstances particulières, […] j’étais heureux de la retrouver toujours
aussi drôle, directe et généreuse. On est redevenus très proches, dans ces moments très importants pour elle, dont je témoignais en tant qu’ami et comme réalisateur», partage le
documentariste, ému par ce gage de confiance. «Je suis très triste qu’elle ne soit plus là...» Randy Kelly s’avoue «impressionné par son côté stoïque, sa force de caractère» et sa ténacité,
mais aussi par l’humour, certes un peu noir, qu’elle s’efforçait d’afficher en toute circonstance... du moins durant les rares moments de répits que lui offrait son traitement – un cocktail
médicamenteux dix fois plus fort que la morphine. Malgré les apparences, Josée Nadeau était rarement «fonctionnelle» plus de «trois ou quatre heures par jour». Le reste de son quotidien se
résumait à un cycle de «souffrances et sommeil», témoigne-t-elle, au détour du film. «J’ai beaucoup apprécié son humour. Pour combattre les absurdités de ce monde, pouvoir en rire est très
important. Josée, c’était une experte pour détendre l’atmosphère et les tensions [face à] l’absurdité de l’univers.» Par pudeur, et comme convenu, «je suis sorti de la chambre 15 minutes
avant qu’elle décède et je l’ai entendu rire aux éclats au moins quatre fois», témoigne-t-il. «Qu’une personne ait si peu peur de la mort, si peu d’hésitation, je trouve ça remarquable»,
ajoute Randy Kelly qui, s’il s’efface complètement dans son film, ne parviendra pas à contenir ses larmes, au détour de l’entrevue. «Elle a, dans la mort, un genre de noblesse qui m’a
marqué. Je ne vois plus la mort de la même façon. […] Et si jamais je suis en déclin [physiologique ou neurologique], un jour, j’espère avoir son courage.» Il convient qu’il a eu «un peu
peur» de signer ce portrait. Il craignait que le film soit trop lugubre, que son sujet soit lourd, voire rebutant, pour le spectateur. Or, non, il est traversé de part en part par la lumière
de cette femme qu’«on découvre à travers ses relations avec ses amies, sa famille et son chien» Suki, avec qui elle a «une relation fusionnelle»; lui trouver un nouveau maître avant le
grand voyage sera d’ailleurs l’une de ses quêtes. Il a articulé son film autour d’une série de derniers moments (dernier souper en famille, dernière fiesta avec ses chums de filles, dernier
tour de chant devant public, etc.) qui finissent par constituer d’étonnantes funérailles où la douceur et la joie finissent par l’emporter sur l’affliction. Elle n’en voulait pas, de
funérailles, Josée Nadeau. Ainsi, les confidences, les connivences, les compliments et les quatre vérités qu’on se dit en se regardant droit dans les yeux servent ici d’éloges funèbres à une
«défunte» pas encore trépassée. «Tout ça la rend beaucoup plus attachante que si on l’avait montrée comme une malade» répétant _ad nauseam_ les raisons pour lesquelles elle veut en finir
avec l’existence, indique-t-il. DERNIÈRE DANSE Il se remémore cette dernière danse, à laquelle elle s’est livrée aux bras de ses proches, dans son salon, quelques heures avant l’injection
létale. «J’ai posé la caméra et j’ai dansé avec elle. C’était un moment plein de joie, ça faisait comme un beau pied de nez à une fin de vie.» Les nombreux problèmes de santé auxquels fait
face Josée Nadeau depuis l’âge de 21 ans, et qu’elle retrace dans les premières minutes du film, sont vite évacués au profit des relations humaines qui se tissent et se raffermissent dans
ces circonstances on ne peut plus particulières. On l’aura compris, Josée Nadeau n’aura jamais vu le produit fini. C’est pourtant elle qui assure la narration de «Le temps qu’il me reste».
Pas de façon bavarde, non plus. «J’ai préféré laisser les scènes parler», indique Randy Kelly, soucieux d’offrir un portrait «délicat et respectueux» de la situation. «J’avais comme sa
famille, ce petit côté égoïste, concède-t-il. J’ai secrètement rêvé qu’elle trouve un antidote magique pour mettre fin à ses souffrances.» «Ça aurait complètement bousillé mon docu, mais ça
aurait fait une autre histoire sûrement extraordinaire», ajoute-t-il, un sourire amer au coin des lèvres. «Autant j’aurais aimé la garder [auprès de moi], autant je comprenais complètement
qu’elle ne change pas d’idée. Sa vie se rapetissait. Et j’espère que [le film] aide à expliquer sa décision.» Il se désole de la disparition de son amie, «mais sa voix va continuer à vivre»,
depuis l’au-delà, se console-t-il. Randy Kelly, qui égrène des «cinépoèmes» sur YouTube et des compositions poétiques sur la scène de Slam Outoaouais, a d’ailleurs signé «Adieu Josée», un
slam hommage a son amie disparue. Devant la table de montage, ce ne fut pas facile de mettre un point final à cette histoire. «Je travaillais sur le montage de deux films en même temps, dont
une série humoristique. C’était très thérapeutique d’avoir cet autre projet en parallèle.» CADEAU MUSICAL La fille du documentariste, l’autrice-compositrice-interprète Mia Kelly, est venue
épauler son père en apportant une touche finale. Voyant bien à quel point son père était affecté, elle lui a apporté une chanson qu’elle venait de composer : «Le vent qui m’amènera». On peut
entendre quelques couplets de cette mélodie doucereuse à la fin du documentaire. «C’était tellement un bel hommage [que cet] hommage de ma fille à la fille de Madeleine!», partage-t-il en
s’essuyant les yeux. _Le temps qu’il me reste_ est produit par Nish Média. Le documentaire sera diffusé samedi 31 mai à 22h30 sur ICI TÉLÉ (et sur ICI TOU.TV).