Philae pourrait vivre ses dernières heures

Philae pourrait vivre ses dernières heures


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Troisième nuit blanche pour les scientifiques de la mission Rosetta de l’Agence spatiale européenne. Mardi 11 novembre, ils étaient tendus pour les derniers comptes à rebours avant le


largage du mini-laboratoire robotisé Philae vers la comète 67P/Tchourioumov-Guérassimenko. Mercredi, ils avaient des sueurs froides pour comprendre ce qui s’était passé lors de


l’atterrissage. Après sept heures de chute libre, Philae touche le sol de la comète à 17 h 03, mais très vite les signaux radio reçus montrent des anomalies. La sonde de 100 kg a en fait


rebondi par deux fois avant de se stabiliser. Le premier rebond a duré deux heures environ, sur plusieurs centaines de mètres de hauteur, envoyant le module à près d’un kilomètre de son


point d’arrivée. Un second saut n’a duré que sept minutes, conduisant le robot dans un endroit qui a relancé l’inquiétude des chercheurs. _« Philae est stable mais l’éclairement est mauvais 


»_, constate sobrement Stephan Ulamec, responsable de l’atterrisseur. Le module est à l’ombre d’un _« rocher »_ ou d’une _« falaise »_ – les guillemets étant nécessaires car cette


topographie n’est pas faite de pierres au sens terrestre du terme. «_ Nous ne sommes manifestement pas dans une plaine mais dans un paysage très tourmenté. Il y a dû y avoir beaucoup de


dégazage _[évaporation des glaces] _pour expliquer que la _“_roche_”_ soit autant travaillée »_, décrit Jean-Pierre Bibring, de l’Institut d’astrophysique spatiale de l’université Paris-Sud,


responsable de la caméra Civa qui a pris les premiers clichés de cette _« falaise »_. MANŒUVRE ULTIME En outre, Philae a un pied en l’air et l’une de ses faces couverte de panneaux solaires


est tournée vers le sol. L’engin ne recevrait donc qu’une heure à une heure trente d’ensoleillement par jour. Trop peu pour assurer sa survie et mener certaines expériences clés pour en


savoir plus sur ce « fossile » du système solaire. Les comètes sont en effet composées de grains de poussière qui, il y a 4,5 milliards d’années, se sont agrégés pour former les planètes,


dont la Terre. Dans la nuit de jeudi, les chercheurs ont donc modifié leur stratégie pour mener d’ultimes expériences et, peut-être, faire « bouger » le robot afin de lui apporter plus de


lumière. Pour cela, ils disposent du bon vieux principe mécanique de l’action et de la réaction. Tout mouvement dans un sens entraîne un déplacement dans le sens inverse. Principe validé en


quelque sorte par les spectaculaires rebonds de Philae. La nuit dernière, les scientifiques ont ainsi déployé le « marteau » de l’instrument Mupus qui pourrait aider, au-delà de mesurer la


dureté du sol, à bouger le robot. L’instrument Apxs, qui identifie les particules chimiques, possède également un bras dont la sortie pourrait avoir un effet positif. En fin de matinée,


jeudi, les équipes devaient se réunir pour décider de la suite. Tenter une ultime manœuvre ou se préparer à une hibernation et à un réveil sous des cieux plus cléments. Côté manœuvres,


plusieurs actions sont possibles. Le propulseur de gaz froid n’a pas fonctionné pour plaquer au sol Philae mais il pourrait servir pour le déplacer. De même, les harpons pourraient être


tirés afin d’entraîner un mouvement. Enfin, la foreuse SD2, qui ne peut percer, vu la posture instable du robot, pourrait permettre de le faire tourner ou bouger. STRUCTURE INTERNE


MYSTÉRIEUSE La dernière option est d’attendre. _« Philae peut hiberner et se réveiller lorsque l’ensoleillement sera plus favorable. Cela peut durer plusieurs mois, l’ensoleillement maximal


ayant lieu lorsque la comète sera la plus proche du Soleil, en août prochain »_, estime Philippe Gaudon, responsable au CNES de Rosetta. A condition de savoir où se trouve exactement le


module pour pouvoir calculer l’éclairement nécessaire qui rechargerait ses batteries. Philae a donc toutes les chances de cesser ses activités dans les prochaines heures, après épuisement de


sa pile principale qui lui assure encore environ deux jours et demi de fonctionnement. _« L’important est que nous avons déjà des données scientifiques »_, rappelle Stephan Ulamec. Le radar


Consert fonctionne ainsi depuis l’atterrissage du robot sur la comète. En établissant une liaison radio entre Rosetta et Philae au travers du noyau de glace, il en sonde la structure


interne, encore mystérieuse. Les caméras Rolis et Civa étudient, quant à elles, la géométrie fine des grains composant la comète. Enfin, Mupus et Sesame engrangent des données sur les


propriétés physiques du sol. La déception actuelle concerne l’un des objectifs principaux de la mission : identifier des molécules organiques complexes comme les acides aminés qui


constituent les briques élémentaires du vivant sur la Terre. Leur présence est fortement suspectée sur les comètes et Philae devait apporter une confirmation éclatante. Mais la foreuse SD2


n’a pu extraire les échantillons à analyser au cœur du laboratoire de Philae. Rosetta va de toute façon poursuivre sa mission en surveillant l’activité de la comète au moins jusqu’à l’été


prochain, quand « Tchouri » sera au plus près du Soleil. David Larousserie