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PARTOUT DANS LE MONDE, LE COUPLE DÉCLINE DEPUIS PLUSIEURS DÉCENNIES. CETTE ÉVOLUTION INQUIÈTE D’UN CÔTÉ LES POUVOIRS PUBLICS CAR ELLE ENTRAÎNE UN DÉCLIN DÉMOGRAPHIQUE ET RISQUE D’AGGRAVER LA
STAGNATION D’ÉCONOMIES OCCIDENTALES DÉJÀ VIEILLISSANTES. DE L’AUTRE, LES INTELLECTUELS MÉDIATIQUES FUSTIGENT L’INDIVIDUALISME ET LE PURITANISME SUPPOSÉ DES NOUVELLES GÉNÉRATIONS. LES CAUSES
DE CE PHÉNOMÈNE SONT MULTIPLES, ET LES RÉCENTES ÉTUDES MONTRENT QU’IL EST DANS L’ENSEMBLE UN CHOIX PAR DÉFAUT. TOUTEFOIS, UN ÉLÉMENT EST PEU MIS EN AVANT DANS LES DISCOURS : LES FEMMES
SONT, PLUS QUE LES HOMMES, HOSTILES AU COUPLE – ET LES FEMMES ISSUES DES CLASSES POPULAIRES PLUS QUE LES CADRES. UNE SPÉCIFICITÉ QUI PEUT ÊTRE COMPRISE AU PRISME D’UNE ANALYSE FÉMINISTE
MATÉRIALISTE. NDLR _: Cet article s’inscrit dans un dossier consacré au féminisme matérialiste. Nous vous invitons à lire l’article de Sara R. Farris sur la place des classes sociales dans
la mouvance féministe, un extrait du dernier livre de Maud Simonet sur le travail domestique et le bénévolat, ainsi qu’un entretien avec Clara Serra sur le consentement positif et négatif._
MOINS DE COUPLES, PLUS D’INDIVIDUALISME ? Le couple décline depuis les années 1990 : en Finlande, en Corée du Sud, en Turquie, au Mexique, le nombre de mariages et de couples cohabitants est
en baisse. En Corée, où le nombre d’enfants par femme est passé à 0,78 en 2024, les agences matrimoniales fleurissent et proposent même d’importer des Chinoises et des Vietnamiennes pour
repeupler les campagnes. L’affaire est également prise à bras le corps par le Parti communiste chinois, qui organise des speed-dating bucoliques pour relancer la natalité. En France, où le
nombre d’enfants par femme a atteint 1,62 en 2024, les politiques déclarent la guerre au déclin démographique…tout en mettant toujours peu de moyens pour y remédier. De l’autre côté,
l’augmentation du célibat attise les commentaires d’intellectuels médiatiques, qui mêlent indistinctement baisse de la sexualité chez les plus jeunes et augmentation du célibat, pointant
parfois du doigt les effets puritains du mouvement #MeToo. Sur un ton plus virulent, la sphère « masculiniste » accuse le féminisme d’avoir introduit un degré tel de complexité dans les
rapports femmes-hommes qu’il en accule certains au célibat contraint (_incels_) ou choisi (_Men GoingTheir Own Way_). > Les femmes issues des milieux populaires affirment davantage avoir
> choisi le célibat (50%) que les femmes cadres (25%). Or, ce sont > précisément ces femmes qui ont le plus à perdre dans le couple Certes, les valeurs d’autonomie et d’égalité
femmes/hommes ont reconfiguré les rapports conjugaux depuis une trentaine d’années. Les individus aspirent à des relations respectueuses de leur liberté, et hésitent moins qu’avant à mettre
fin à une relation dans laquelle ils ne s’épanouissent plus. Du côté des pratiques de couple, le nouvel _ethos_ conjugal se traduit par une diminution des mariages, une séparation des biens
et des comptes bancaires. Conséquence de la multiplication des ruptures, les périodes transitoires de célibat sont aussi plus fréquentes ; une mise au clair qui nuance les propos alarmistes
sur le déclin du couple. Pour la plupart, le couple reste un horizon désirable. CÉLIBAT CHOISI DES FEMMES ET FÉMINISME MATÉRIALISTE Les réactions moralisatrices sont généralement peu
informées. Celles des commentateurs qui fustigent tantôt le puritanisme, tantôt l’individualisme, n’échappent pas à cette règle. Les données révèlent que le célibat est davantage un choix
des femmes : dans l’enquête Épic (Étude des parcours individuels et conjugaux), menée en 2013 et 2014 par l’INED et l’INSEE, 46% des femmes célibataires déclarent avoir choisi la vie hors
couple, contre 34% des hommes. Comme le souligne le sociologue Christophe Giraud, les femmes « expriment plus d’insatisfaction et sont très majoritairement à l’initiative des séparations »,
une insatisfaction objectivée via cette enquête mais qui transparaissait déjà sur les réseaux sociaux. Des figures comme Virginie Despentes ou la philosophe Manon Garcia prédisent depuis
plusieurs années la fin proche du couple hétérosexuel, et l’hymne au célibat de Taylor Swift _Flowers _a été le titre le plus écouté sur Spotify en 2023. Cette différence genrée se retrouve
également outre-Atlantique, comme en témoigne l’enquête du Pew Resarch Center : parmi les célibataires Américains, 56% des hommes recherchent une relation (romantique ou occasionnelle),
contre 44% des femmes. Pourquoi les femmes sont-elles moins promptes à l’acceptation du couple que les hommes ? Un détour par le féminisme matérialiste est utile pour comprendre ce
phénomène. Né dans les années 1970 et inspiré du marxisme, ce courant postule que toute domination a des bases matérielles. Son apport réside dans la conceptualisation du travail domestique
comme un rapport d’exploitation : les femmes accomplissent des tâches qui, dans un autre cadre, pourraient être rémunérées, mais deviennent gratuites au sein du couple. Le travail domestique
recouvre les tâches ménagères et reproductives, et engage donc les femmes bien au-delà du simple geste : il touche à la fois le corps — par la naissance ou l’allaitement — et l’affect, à
travers la gestion du bien-être émotionnel de la famille. Un engagement total, physique et émotionnel, pourtant largement invisibilisé car souvent perçu comme découlant des dispositions
naturelles des femmes. Autre indice de la pertinence du prisme matérialiste, dans l’enquête Épic citée plus haut, les femmes issues des milieux populaires affirment davantage avoir choisi le
célibat (50%) que les femmes cadres (25%). Or, ce sont précisément ces femmes qui ont le plus à perdre dans le couple : les femmes des classes populaires cumulent la double charge d’un
emploi salarié et du travail domestique, n’ayant pas les ressources nécessaires pour déléguer ces tâches. Leur autonomie est également entravée par une forte dépendance financière, les
pratiques de comptes joints étant plus courantes dans cette catégorie. Le célibat apparaît alors moins comme une échappée solitaire que comme un levier d’émancipation pour les femmes. >
L’effet des réformes des congés parentaux a été rigoureusement > mesuré par des économistes, qui ont montré leurs bénéfices sur > le partage des tâches dans le couple Depuis les années
1960, les femmes ont progressivement conquis une autonomie financière, marquant une rupture historique : c’est à cette époque qu’elles obtiennent le droit d’ouvrir un compte bancaire en
leur nom, sans l’autorisation d’un mari ou d’un père. Cette autonomie nouvelle transforme en profondeur les rapports conjugaux, renforçant le pouvoir de négociation des femmes au sein du
couple. De nombreuses études ont mis en évidence le lien de causalité entre ressources économiques féminines et rééquilibrage des relations conjugales : après une augmentation du revenu des
femmes, le travail domestique tend à être mieux équilibré dans les couples. Pourtant, les nouvelles aspirations des femmes se heurtent à la persistance d’un modèle conjugal profondément
ancré, qui repose moins sur les préférences des femmes que sur le maintien de privilèges masculins via des forces culturelles et institutionnelles. Face à cette inertie, certaines femmes,
refusant de sacrifier leur autonomie, optent pour le célibat plutôt que pour une relation inégalitaire. « LES FEMMES TRAVAILLENT ET LES HOMMES ACCUMULENT » AU SEIN DU COUPLE Contrairement au
mythe véhiculé par les anti-féministes de « l’égalité déjà-là », pour reprendre l’expression de Christine Delphy, les femmes continuent de fournir l’essentiel du travail domestique et
parental. En France, en 2010, les femmes en couple avec enfants consacrent en moyenne 54 heures par semaine à l’ensemble de leurs activités professionnelles et domestiques, dont 34 heures de
travail domestique. Les hommes, eux, cumulent 51 heures de travail, dont seulement 18 de tâches domestiques. Cette répartition inégale se confirme dans les enquêtes récentes : selon
l’Observatoire des Inégalités, seuls 33 % des hommes déclarent effectuer au moins une heure quotidienne de tâches ménagères, contre 80 % des femmes – un écart figé depuis deux décennies. Les
économistes reconnaissent à présent que le couple est la première cause du décrochage salarial des femmes à la trentaine. À l’arrivée du premier enfant, les femmes perdent 30% de leur
revenu tandis que celui des hommes demeure stable – malgré des trajectoires salariales similaires avant la naissance. Et ce, principalement car les femmes réduisent leur temps de travail
salarié quand les hommes l’augmentent. S’il a été proposé que la divergence professionnelle après un enfant résultait de différences de productivité sur le marché du travail, cette
explication est insuffisante, comme l’ont souligné des travaux empiriques. L’écart de trajectoire est bien moins prononcé après la naissance d’un enfant parmi les couples de femmes
lesbiennes, y compris celles ayant d’importantes différences de salaires avec leurs conjointes. Ce sont donc bien les normes de genre, qui prescrivent le comportement à adopter pour les
femmes et les hommes, qui sont en cause, et non uniquement des différences d’opportunités salariales. _Children and gender inequality: Evidence from Denmark, Kleven, H., Landais, C., &
Søgaard, J. E. (2019)_ Outre l’arrivée du premier enfant, c’est au moment du divorce que les femmes paient le prix fort de leur sacrifice pour la famille. Comme l’ont souligné les
sociologues Céline Bessière et Sybille Gollac dans _Le Genre du Capital _(2019), le niveau de vie des femmes au moment du divorce chute de 22% en moyenne, contre 3% pour les hommes.
Concernant le patrimoine, qu’elles contribuent pourtant à constituer en délégant les hommes des tâches domestiques, elles s’en trouvent démunies car la juridiction familiale française
demeure sexiste (peu de prise en compte de la contribution des femmes dans l’enrichissement, notamment pour les couples mariés en séparation ; calcul des droits selon les contraintes des
hommes et non les besoins des femmes). Mieux au fait des questions financières que les femmes, certains hommes dissimulent même leur patrimoine au moment du divorce pour qu’il ne soit pas
partagé avec leurs ex-épouses. Dans leur enquête auprès des juges aux affaires familiales, les sociologues montrent par ailleurs que l’inégalité économique entre les femmes et les hommes est
perpétuée par les professionnels du droit qui calculent des pensions alimentaires en fonction des ressources de l’homme et non du besoin des femmes, et refusent des pensions de réversion
perçues comme un assistanat désuet. Les femmes subissent donc du même coup une baisse du niveau de vie et l’absence de reconnaissance de leur contribution à la formation du capital du
ménage. Comme le résument les auteures, au sein du couple, « les femmes travaillent, les hommes accumulent ». DU PRIVÉ AUX POLITIQUES PUBLIQUES Sous la plume des féministes inspirées par les
courants anarchistes fleurissants des années 1970, le slogan « le privé est politique » appelle davantage les individus à changer leur vie immédiatement qu’à des solutions
institutionnelles. Pour autant, les lois contribuent à équilibrer les rapports conjugaux, à condition que les moyens déployés soient suffisants. La Suède est un exemple phare en la matière.
L’idée que les pères ne sont pas seulement pourvoyeurs de ressources mais aussi des _carers_ a été exprimée dans les discours publics, la législation et les politiques depuis les années
1970. Aujourd’hui, ce pays combine des congés parentaux longs (240 jours pour chaque parent), largement indemnisés et proactivement égalitaires – avec une obligation de prendre au minimum 90
jours par parent. Le Danemark et la Norvège s’en sont inspirés, et les pays scandinaves ont maintenant un des taux les plus égalitaires de partage entre travail domestique et salarial.
L’effet de réformes des congés parentaux a été rigoureusement mesuré par économistes et sociologues, qui ont montré leurs bénéfices sur le partage des tâches dans le couple et sur les
mentalités. En Espagne, où, contrairement à la France, les congés parentaux sont de même durée pour les deux parents, l’extension des congés paternité en 2007 a augmenté le temps consacré
par les pères aux tâches ménagères et parentales de plus d’une heure par jour. Certaines études ont même constaté une évolution des mentalités à la suite de ces réformes : les enfants nés
après celle-ci se montraient plus favorables à un modèle familial dans lequel la mère travaille à temps plein et le père à temps partiel que ceux nés avant. En France, malgré la déclaration
d’Emmanuel Macron de faire de l’égalité entre les femmes et les hommes la grande cause nationale en 2017, les politiques se montrent moins volontaristes. En 2026, le congé de naissance
devrait accorder 3 mois à chacun des parents, mais sera plus faiblement indemnisés (50% du salaire) qu’actuellement, et sans obligation pour les pères de prendre leur congé paternité. Une
telle réforme a peu de chance d’inciter les pères à prendre davantage de congés paternité. Du côté de la garde d’enfants, un autre levier pour favoriser le retour des mères sur le marché du
travail, la France peine toujours à recruter du personnel dans les crèches, faute de salaires suffisamment attractifs et de valorisation des métiers du _care_. Le désir d’égalité dans le
couple n’est pas synonyme d’individualisme, pas plus que le consentement n’est une réaction puritaine. Ces revendications traduisent plutôt une inadéquation entre les modalités actuelles des
relations hétérosexuelles et les attentes — notamment celles des femmes, qui ont désormais du pouvoir de les faire entendre. Le rejet du modèle conjugal traditionnel devrait susciter une
vague de soutien en faveur de l’égalité encore à atteindre, plutôt qu’un flot de jugements moralisateurs. Les politiques publiques efficaces pour limiter les inégalités économiques dans le
couple sont connues : soutien à la petite enfance, congés parentaux étendus et obligatoires. Le rejet du couple n’a pas qu’un fondement matériel pour les femmes, notamment chez les nouvelles
générations qui déplorent la charge émotionnelle et relationnelle encore inégalement répartie. Mais cette question appelle à une remise en cause du fondement même de la socialisation
masculine, qui prescrit aux garçons une distance à leurs émotions. Et dont les effets délétères sur la santé mentale des hommes justifieraient un programme de santé publique dédié. NOTES :
La réforme du congé parental, censée entrer en vigueur en 2025, a été repoussée à 2026. Soignants, en charge de la reproduction du foyer 16 semaines pour chaque parent en Espagne, contre 4
pour les pères et 16 pour les mères en France.