
En finir avec les impayés de pensions alimentaires | terra nova
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Dominique, 41 ans, vit au Creusot avec son fils de 9 ans qu’elle élève seule depuis son divorce. Depuis, elle _« galère »_. Sur le papier, les choses sont pourtant claires : son ancien mari
lui doit une pension alimentaire de 130 € par mois afin de contribuer aux frais d’éducation de leur fils. Problème, il ne paie que très rarement. Ce qui oblige Dominique à multiplier les
allers-retours devant la justice et la Caisse d’allocations familiales (CAF) afin de réclamer son dû. L’ancien mari de Nora, lui, a arrêté de payer les pensions alimentaires de ses deux
enfants le jour où ceux-ci ont décidé de ne plus aller chez lui le week-end. _« Il faut dire qu’il ne s’en occupait pas du tout, _ s’étrangle la jeune femme. _Alors forcément ils en ont eu
marre. »_ Depuis, elle aussi a dû multiplier les recours pour le rappeler à ses obligations. Sans grand succès. Nora s’arrange donc seule pour financer les permis de conduire, les vacances
et les études. Elle aussi regrette que l’État ne l’aide pas d’avantage. Et elle nourrit le sentiment qu’elle doit plus à la solidarité de ses amis qu’à la justice. _« Pour les juges, mon
ex-mari est insolvable. Pourtant, il a un bar qui tourne bien. Pourquoi ça n’étonne personne ? »_ CONTRAINDRE LES MAUVAIS PAYEURS En matière familiale, la justice a en effet parfois du mal à
contraindre les mauvais payeurs. On estime ainsi que 30 à 40 % des pensions alimentaires sont mal ou pas du tout versées. Ces contributions sont dues par le parent qui n’a pas la garde des
enfants – le père, dans plus de 90 % des cas – à l’autre parent, afin de contribuer aux frais d’éducation. Si ce problème n’est pas nouveau, il est ressorti au grand jour lors de la crise
des « gilets jaunes ». Sur les ronds-points, puis lors du Grand débat national, de nombreuses mères isolées ont en effet témoigné de leurs difficultés à joindre les deux bouts au quotidien
alors que le père de leurs enfants ne participe pas comme il le devrait aux frais d’éducation. Un message qui semble avoir été entendu par Emmanuel Macron : le président de la République
devrait prochainement annoncer des mesures afin de permettre à l’État de se porter garant d’un meilleur paiement de ces pensions. Reste à savoir comment. Plusieurs pistes sont déjà évoquées.
Tout d’abord, l’État pourrait créer un fonds de garantie qui lui permettrait de se substituer aux mauvais payeurs. Cette solution était notamment à l’étude, en février, au cabinet de
Marlène Schiappa, la secrétaire d’État chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes. Elle suscite pourtant la méfiance de Stéphanie Lamy, présidente du collectif Abandon de
famille-Tolérance zéro. _« Avec ce système, c’est l’État, et donc les contribuables, qui paient. Cela ne rappelle pas les pères à leurs responsabilités »_, estime la militante. La
faisabilité technique d’une telle mesure laisse d’autre part sceptique Marie-Christine Le Bourcicot, magistrate auprès de la Cour de cassation. _« On peut certes imaginer un système
semblable, par exemple, à la Commission d’indemnisation des victimes d’infractions (Civi), qui existe au pénal. Dans ce cas, l’État se substitue à un auteur insolvable ou inconnu, afin que
la victime soit indemnisée. Ce système néanmoins ne s’applique que dans des procédures exceptionnelles, comme les affaires de terrorisme et il coûte très cher. L’étendre à un contentieux
aussi fréquent que celui du divorce supposerait un investissement massif de la part de l’État. »_ UNE AGENCE INDÉPENDANTE Autre idée : éviter que les problèmes ne surgissent. C’est le pari
fait notamment par le Québec où une agence intervient dès la séparation des parents. Elle est leur intermédiaire : c’est à elle que le parent débiteur verse la pension alimentaire. Puis
c’est elle qui la reverse ensuite au parent créancier. _« Ce système a l’avantage d’intervenir tout de suite, avant que la situation se dégrade »_, estime Stéphanie Lamy. Et il a fait ses
preuves : le taux de perception des pensions alimentaires au Québec s’élève aujourd’hui à 96 %. De quoi donner des idées de ce côté-ci de l’Atlantique. Dans un récent rapport pour le
laboratoire d’idées Terra Nova, l’ancien directeur général de la Cnaf, Daniel Lenoir, propose de transposer l’idée en France, en rendant automatique le recours à l’Agence de recouvrement des
impayés de pensions alimentaires (Aripa). Depuis sa mise en place, l’agence a permis certains progrès : le taux de recouvrement est passé de 56 % en 2016 à 63 % en 2018. Pourtant, elle est
largement perfectible, reconnaît Marie-Christine d’Avrincourt, sa directrice. _« D’une part, elle reste trop peu connue du grand public. D’autre part, elle intervient souvent trop tard : les
femmes nous saisissent après avoir tenté d’abord de régler le problème à l’amiable. Les problèmes sont alors plus compliqués à régler. »_Cette agence existe déjà au sein de la Caisse
nationale des allocations familiales (Cnaf). Dès le premier impayé de pension alimentaire, tout parent peut la saisir. L’agence peut l’aider au recouvrement de la pension non-payée, y
compris, s’il le faut, par une saisie sur le salaire de l’ancien conjoint. De plus, si le parent qui élève l’enfant ne s’est pas remis en couple, l’Aripa peut lui verser une allocation de
soutien familial d’un montant de 116 € par enfant et par an. Surtout, le système est complexe à mettre en œuvre et suppose des démarches et la délivrance d’un « titre exécutoire » (une
obligation officielle, complexe à obtenir). _« Afin de lever les freins à l’accès à cette action de recouvrement, il paraît nécessaire de renforcer l’accompagnement des familles »_,
reconnaît encore la directrice. Une intervention systématique aurait l’avantage, selon elle, de simplifier les procédures. UN AUTOMATISME CONTESTÉ Reste que les juges sont parfois plus
réticents à l’idée d’une telle réforme. _« L’Aripa est déjà un très bel outil, _ fait ainsi valoir Cécile Mamelin, juge aux affaires familiales. _Peut-être les lourdeurs administratives sont
importantes, mais il est illusoire de croire qu’un système, quel qu’il soit, fera l’impasse sur l’obtention d’un titre exécutoire, par exemple. Personne ne peut faire de saisie sur salaire
sans y être autorisé par la justice. Et cela est heureux sur le plan des libertés individuelles. »_ La magistrate, également trésorière de l’Union syndicale des magistrats (USM), voit plutôt
dans les délais existants, la marque d’un manque de moyens alloués à la Cnaf. Surtout, _« introduire un automatisme en matière familiale est dangereux »_, fait-elle encore valoir en
appelant à une certaine prudence. _« Le chiffre de 30 à 40 % de pensions alimentaires impayées ou payées de façon irrégulière ne signifie pas que 30 à 40 % des pères choisissent délibérément
de ne pas payer. Le plus souvent, il s’agit de retards qui sont dus à leurs propres difficultés sur le plan professionnel. Il faut se garder la chance d’une appréciation au cas par cas des
situations », _ estime-t-elle. L’inverse créerait, selon elle, des difficultés entre les anciens conjoints. Emmanuelle Lucas ––––––––––––––––__ LES FAMILLES MONOPARENTALES EN BREF • Un
phénomène en hausse. En 1975, un peu moins d’une famille sur dix avec enfant de moins de 25 ans était monoparentale, souvent suite au décès d’un parent, selon l’Insee. En 2014, c’est une
famille sur quatre, dans huit cas sur dix suite à une séparation. L’ancienneté moyenne des familles monoparentales était de cinq ans et demi en 2011, selon l’Insee. • Les chefs de famille
monoparentale sont le plus souvent des femmes. Dans plus de 82 % des cas, c’est la mère qui est à la tête du ménage monoparental. Entre un quart et un tiers des femmes connaissent la
monoparentalité au moins une fois dans leur vie, selon l’Ined. • Un risque accru de pauvreté. 34,9 % des familles monoparentales disposent de revenus inférieurs au seuil de pauvreté (fixé à
60 % du revenu médian), contre 11,8 % des personnes vivant en couple. 70 % des mères célibataires qui sont inactives sont pauvres. • L’importance de la pension alimentaire. 900 000
personnes, très majoritairement des femmes, reçoivent une pension alimentaire, qui représente en moyenne 18 % de leurs revenus. 35 % d’entre elles seraient victimes d’impayés.