
Recrutement et formation, enjeux cruciaux pour la qualité du service public de sécurité | terra nova
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INTRODUCTION Les questions de recrutement et de formation revêtent une importance particulière pour les services de sécurité intérieure. Avec des effectifs de près de 215 000 policiers
actifs et militaires de la Gendarmerie nationale[1], ces carrières concernent des personnels appelés à exercer pendant plusieurs dizaines d’années des prérogatives exorbitantes du droit
commun, au nom de l’État. Après leur réussite aux divers concours, les candidats doivent être formés à un métier exposé, difficile, exigeant une grande maîtrise de soi, une aptitude à gérer
les difficultés et une capacité éprouvée à s’adapter à des situations très diverses. L’étape du recrutement est décisive pour sélectionner des aspirants dont le profil est en adéquation avec
les attentes associées aux postes qu’ils seront amenés à occuper, les missions qui leur seront confiées et les orientations durables données aux politiques de sécurité publique. La
fiabilité des services de sécurité et leur capacité à remplir leur rôle en dépendent directement. De la qualité du recrutement initial et de l’assurance d’une formation initiale de qualité
des agents publics habilités à exercer la force légitime et des prérogatives de police judiciaire découlent également leur légitimité et la confiance accordée par la population. La prise en
compte de ces enjeux a fait l’objet de réponses différentes et même divergentes depuis les années 2000, avec une forte implication des gouvernements qui, pour légitime qu’elle soit – le
recrutement et la formation sont des leviers majeurs pour faire évoluer les institutions –, a d’abord et avant tout été source de déstabilisations : * Déstabilisation au plan démographique,
pour commencer, avec les conséquences ravageuses de l’application sans nuances de la révision générale des politiques publiques (RGPP) aux services de sécurité, à l’origine de la suppression
de près de 9 269 emplois équivalent temps plein (ETP)[2] et de certaines unités. A l’inverse, la mise en œuvre des deux plans quinquennaux successifs de recrutement de 20 000 agents au
total, sur fond de tensions sécuritaires, a créé un appel d’air provoquant une baisse très nette du taux de sélectivité ; * Déstabilisation au plan du déroulement de la formation initiale,
ajusté et raccourci pour faire face à ces afflux conjoncturels de recrues. Sous l’effet de ces cycles conjoncturels, le nombre d’élèves en formation initiale a varié du simple au quadruple :
le point bas a été atteint en 2012 avec 2 500 élèves gardiens, policiers adjoints et cadets incorporés, le point haut en 2016 avec 9 300 incorporations (6 200 en 2021)[3]. En outre, le
principe suivant lequel la formation en école se poursuit sur le terrain, dans les unités d’accueil, a été affaibli par l’intensification des tâches et des missions ces dernières années ; *
Déstabilisation enfin au plan du contenu, qui s’est appauvri aux dépens d’une réflexion de long terme sur la diversification et l’adaptation de formations aujourd’hui trop peu ouvertes aux
intervenants extérieurs et abordant peu les évolutions de la société française. Les carrières au sein de la police et de la gendarmerie nationales obéissent à un principe commun à toute la
fonction publique d’État : celui de carrières longues, soumises à des règles de mobilité encadrées, applicables à l’échelle nationale. Elles s’en distinguent par les prérogatives
exorbitantes du droit commun que seront appelés à exercer, plus de trente ans durant, les policiers et gendarmes et la difficulté particulière des missions exercées. La sélection de profils
en phase avec les attentes associées aux postes est, de ce fait, d’une importance stratégique. 1. LE RECRUTEMENT, UN ENJEU QUALITATIF ET QUANTITATIF CONSTAT : la suppression d’effectifs
opérée sous la RGPP a conduit à une baisse sensible des effectifs avec un point bas atteint vers 2013–2014. Depuis, dans le but de combler ce déficit mais aussi de renforcer certains
services face à la hausse de la menace terroriste, deux phases de recrutement massives ont été décidées, entre 2012 et 2017 (+ 10 000 orientés vers les services de renseignement notamment)
puis entre 2017 et 2022[4] (10 000 emplois supplémentaires dont 7 500 pour la police nationale et 2 500 pour la gendarmerie nationale, bénéficiant en priorité à la mission de sécurité
publique). Dans le même temps, le ministère doit faire face à des départs à la retraite. Si les cohortes concernées seront plus importantes ans dix ans qu’elles ne le sont aujourd’hui, ces
départs viennent toutefois augmenter dès maintenant les besoins de recrutement. Le pic de départs chez les officiers et gardiens de la paix devrait être atteint autour des années 2031 à
2033, avec plus de 4 400 départs annuels. L’annonce par la Première ministre, le 6 septembre 2022, du recrutement de 8 500 policiers et gendarmes supplémentaires en cinq ans, dont 3 000 en
2023, devrait permettre, pour partie, de compenser ces départs massifs, mais en partie seulement. Dans le même temps, toute augmentation massive des besoins sur une période courte a pour
effet mécanique d’abaisser le taux de sélectivité des concours d’entrée[5], posant la question de l’articulation entre la satisfaction du besoin quantitatif et le maintien d’un haut niveau
d’exigences pour le recrutement de personnels appelés à exercer pendant toute leur carrière des prérogatives exorbitantes du droit commun. PROPOSITION : Plus de dix ans plus tard, les
décisions prises au nom de la RGPP continuent d’être sensibles. Pour des services de sécurité en charge d’une mission de service public de première nécessité, la gestion par à-coups des
recrutements n’est plus envisageable. Elle doit s’inscrire dans un horizon de moyen et long terme, au titre d’une gestion prévisionnelle qui permette de lisser les recrutements dans la durée
en tenant compte des enjeux opérationnels et des départs naturels, et par ce biais, d’éviter des baisses récurrentes du taux de sélectivité. A cet égard, toute loi de programmation de la
sécurité intérieure devrait planifier les perspectives de recrutement selon une approche de gestion prévisionnelle des emplois et compétences. Or, le projet de loi, dans sa version déposée
au Sénat pour une première lecture, ne comporte aucun élément en la matière. Des mesures connexes sont certes évoquées, portant sur la durée et le contenu de la formation initiale, la
création d’une école de police en Île-de-France, et le renforcement des voies permettant de diversifier les futures recrues. Mais aucun élément n’y précise le séquencement des recrutements
sur les cinq années à venir. Il importe de réinsérer ce volet au sein du texte de loi[6], en veillant à articuler les impératifs de renforcement opérationnel sur le terrain avec les
perspectives de départ à la retraite, sans affecter le maintien d’un niveau élevé de sélectivité des futurs agents de la force publique. Une telle inscription apparaît nécessaire pour
contrer le risque de remise en cause de l’objectif affiché sous l’effet des contingences politiques, administratives et budgétaires. 2. L’ATTRACTIVITÉ DES MÉTIERS AU STADE DU RECRUTEMENT
INITIAL CONSTATS : soulevée dans le cadre du Beauvau de la sécurité en 2021, la problématique de l’attractivité des métiers de policier et gendarme appelle des constats contrastés. Elle
n’est pas la même pour tous les métiers : les services de renseignement, les unités d’intervention, certaines fonctions spécialisées présentent un haut niveau d’attractivité, dès le stade du
recrutement initial. A contrario, moins nombreux sont les candidats qui se projettent dans les unités de sécurité du quotidien ou même dans les métiers de la police judiciaire confrontés à
une désaffection grandissante. * UNE DISTORSION ENTRE LES MISSIONS QUOTIDIENNES ET LES MOTIVATIONS DES ASPIRANTS POLICIERS ET GENDARMES Il existe toujours un écart entre les motivations
individuelles des candidats aux concours et la réalité de leurs missions quotidiennes. Cette difficulté n’est pas propre aux services de sécurité intérieure mais s’observe également, dans le
champ au sein des services d’incendie et de secours[7]. Ces dernières années, cette distorsion a probablement été accentuée par le poids prépondérant pris par la menace terroriste dans les
orientations politiques, la conscience interne au ministère de l’intérieur, le débat public et l’organisation des services. Les cursus de préparation et de formation, les techniques
d’intervention et les équipements ont été pour une large part alignés sur les standards d’intervention les plus exigeants, en vue des situations de crise ou des publics les plus difficiles,
alors qu’aujourd’hui encore, la réalité de la majorité des interventions et des demandes formulées par la population renvoie à des réalités banalement quotidiennes, exigeant avant tout des
capacités relationnelles et d’adaptation situationnelle. L’ « héroïsation » de la figure du policier et du gendarme promue par une partie des médias et de la classe politique accentue encore
le décalage entre aspirations et réalités de l’exercice du métier. Les représentations sociales au sein des services s’en trouvent modifiées. L’engouement constaté jusqu’à récemment[8] à
travers l’augmentation du nombre de candidats inscrits aux épreuves résulte ainsi pour une part de la volonté de nombre d’entre eux de s’engager pour lutter contre le terrorisme, au sein
d’unités d’intervention spécialisée. Si les vagues massives de renforts décidés sous les deux quinquennats visaient à renforcer l’armement des services de renseignement et des unités
engagées dans la lutte contre le terrorisme, l’essentiel des recrutements réalisés n’en a pas moins vocation à nourrir les services de sécurité du quotidien. Dans le même temps, la
modification de l’équipement courant (ceinturon avec menottes, radio, matraque…) de l’ensemble des policiers du quotidien les rapproche des unités d’intervention spécialisées et consacre
l’idée d’une menace omniprésente, constituant la priorité première de l’ensemble de l’institution, devant toutes les autres. Ce même équipement, impressionnant, complique également le
rapport à la population qui n’a plus en face d’elle le « policier débonnaire » et accessible de l’image d’Épinal. Sans méconnaître l’importance cruciale de cette menace, elle ne saurait
constituer l’unique mission des policiers de terrain. Bien présente dans les aspirations des citoyens, elle ne saurait se substituer à l’ensemble des autres attentes portant sur la
tranquillité du quotidien, la lutte contre les petits trafics, les atteintes aux biens et aux personnes. Les messages envoyés par le ministère de l’intérieur aux futures recrues doivent donc
être en phase avec la réalité des missions courantes, tout en valorisant les possibilités de progression entre les différents univers fonctionnels des services. Les supports de
communication doivent autant que possible restituer ce quotidien des services, sans volonté d’embellir outre mesure un métier difficile par nature. * UN RECRUTEMENT UNIQUE POUR DES PROFILS
ET DES CARRIÈRES DIFFÉRENCIÉS Le caractère principalement généraliste[9] du recrutement initial peut dissuader certains candidats, désireux d’embrasser une partie seulement des missions
quotidiennes des policiers et gendarmes. Ainsi de candidats attirés par la dimension juridique du métier (missions d’enquête et d’instruction) mais moins par l’intervention sur la voie
publique. Ce caractère généraliste la cohérence et l’unité des institutions. Elle permet à l’ensemble des policiers de disposer d’une expérience commune de la voie publique. La contrainte
qu’elle représente est rapidement levée par la possibilité, au bout de quelques années, de rejoindre des univers professionnels spécifiques. Une filière à part entière existe par ailleurs
pour les métiers de la police technique et scientifique. Mais ce recrutement à caractère généraliste peut priver l’institution policière de l’appui de profils spécialisés ou d’experts à
haute valeur ajoutée. Une réflexion sur des voies complémentaires de recrutement, permettant soit l’examen des candidatures de personnels aux formations initiales plus éloignées des épreuves
des concours (ex. des ingénieurs et scientifiques), soit le recrutement sur des types de postes spécifiques, pourrait être envisagée. La Gendarmerie recrute ainsi des « officiers sous
contrat encadrement » (OSCE) pour une période de 17 ans ainsi que des officiers sur titres pour armer certaines unités spécialisées[10]. Les services d’incendie et de secours peuvent
désormais recruter des pompiers volontaires uniquement pour les missions de secours aux personnes, à l’exclusion des incendies, accidents de voitures et interventions les plus lourdes. * UNE
POLICE NATIONALE EN DIFFICULTÉ POUR FIDÉLISER DANS DE NOMBREUSES RÉGIONS L’attractivité se fonde également sur les conditions d’exercice du métier, tant aux plans matériel (immobilier,
équipements, matériels), pécuniaire que symbolique. À cet égard, les conditions d’exercice en région Île-de-France peuvent apparaître dissuasives : temps de transports, coût de la vie,
multiplicité et intensité des problèmes de sécurité constituent autant d’éléments dissuasifs. Or, comme pour les enseignants du secondaire, la région francilienne constitue pour une majorité
des sortants d’école de la police nationale[11], le lieu d’exercice des huit premières années de leur activité professionnelle. À cela s’ajoutent les règles de mobilité : organisées pour la
Gendarmerie nationale, elles peuvent conduire à des changements d’affectation fréquents, dans des régions diverses ; a contrario, dans la Police nationale, elles peuvent être si contraintes
qu’elles reportent loin dans le temps le « retour au pays ». Souvent évoquée, la régionalisation des concours n’est aujourd’hui mise en œuvre qu’en Île-de-France, dans une logique de
recrutements complémentaires et de fidélisation des agents :` – les candidats choisissant le concours à affectation nationale sont recrutés pour une durée de 5 ans à compter de leur
nomination en tant que stagiaire – l’affectation nationale comprend tout le territoire y compris l’Île-de-France ; – les candidats choisissant le concours à affectation régionale en
Île-de-France sont recrutés pour une durée de 8 ans à compter de leur nomination en tant que stagiaire et leur affectation en Île-de-France est accompagnée de mesures indemnitaires et
sociales. Elle apporte ainsi une réponse aux problématiques récurrentes de déficit d’attractivité et de fidélisation, liés aux contraintes de l’agglomération parisienne, parmi lesquelles
figurent le coût de la vie et notamment du logement, ainsi que des conditions d’exercice plus difficiles des missions. Comme le soulignait la Cour des comptes dans son rapport sur la
préfecture de police, « cette situation se traduit par un nombre important de mutations annuelles de policiers expérimentés. Leur remplacement par de jeunes recrues, sortants d’école de
police, emporte des conséquences au plan opérationnel » [12]. Une manière euphémisée de pointer de doigt une préoccupation sur la qualité du travail. Mais la régionalisation ne saurait
suffire : la Cour des comptes relève ainsi que le concours francilien spécifique a eu pour principal effet d’augmenter l’ancienneté moyenne du corps d’encadrement et d’application (CEA),
sans remettre en cause fondamentalement la problématique des départs, laquelle est simplement décalée dans le temps. En 2015, la préfecture de police a adopté une mesure de contingentement
des départs, abandonnée dès l’année suivante parce que contraire aux dispositions statutaires. Ainsi, en l’état actuel, seule l’orientation massive des sorties d’école vers les affectations
franciliennes permet de répondre à la difficulté. A cette difficulté liée à la faible expérience des recrues de la préfecture de police s’ajoute celle résultant du taux d’encadrement au sein
de la préfecture de police, significativement plus bas qu’à l’échelle nationale. Ainsi, au sein de la Direction de la sécurité de proximité de l’agglomération parisienne (DSPAP), le taux
d’encadrement en 2018 s’établissait à 17,1 % et à 13,3 % au sein de la Direction de l’ordre public et de la circulation de la préfecture de police de Paris (DOPC) contre un taux moyen à
l’échelle de la police nationale de 33,5 % en 2018, en progression par rapport à 2009 (28,8 %)[13]. Les dispositifs d’avancement accéléré (dans les secteurs et unités d’encadrement
prioritaire, SUEP) ont certes permis de redresser le taux, mais sans pour autant remédier à l’écart considérable avec la moyenne nationale. Cette difficulté propre au corps du CEA se
retrouve également dans le corps des officiers où la problématique d’attractivité de la plaque parisienne aggrave les difficultés structurelles provoquées par le processus de « déflation[14]
» du corps entamé à la fin des années 1990. PROPOSITIONS : * Créer un référentiel commun des aptitudes nécessairement exigées de tout policier ou gendarme. En faire le référentiel
d’évaluation des jeunes recrutés au cours de leur période de titularisation. * Poursuivre la réflexion sur les conditions d’exercice du métier en région francilienne et les moyens de
fidéliser les fonctionnaires dans la durée, en approfondissant notamment la question du logement, assurément centrale dans les problématiques rencontrées. * Élargir les voies d’accès à la
police nationale, afin de recruter des candidats aux profils particuliers qui ne se projettent pas nécessairement dans toutes les composantes du métier. Le calibrage de ces voies de
recrutement spécialisées devra être opéré de telle façons qu’il ne remette pas en cause la capacité de polyvalence des unités. Si le projet de loi d’orientation et de programmation du
ministère de l’Intérieur (LOPMI)[15] évoque cette perspective, celle-ci reste à la concrétiser. 3. LE RECRUTEMENT INITIAL CONSTATS : * UN LEVIER FONDAMENTAL POUR « FORMER » LA POLICE DANS
LES DÉCENNIES À VENIR, SOUS-UTILISÉ EN PRATIQUE Comme la recherche l’a maintes fois illustré, l’organisation policière combine tous les traits d’une « street-level bureaucracy »[16], dans la
mesure où les agents subalternes y disposent d’une « marge de manœuvre » dans l’application quotidienne des textes et déterminent en grande partie « ce que fait (ou non) la police », les
fins ou les moyens qu’elle emploie. Le corps d’encadrement et d’application est donc en large capacité de faire obstacle à la mise en œuvre des politiques et changements institutionnels
décidées par les autorités politiques et administratives supposées diriger leur action. De ce fait, le recrutement initial revêt un enjeu stratégique pour ces autorités afin de vérifier les
aptitudes des candidats et leur capacité à se conformer aux exigences des missions et transformations demandées. Pourtant, comme une étude le montre[17], si le concours de gardien de la paix
a démontré sa plasticité, avec une trentaine de décrets et d’arrêtés successifs en modifiant les contours depuis 1968, « _le concours est assez peu utilisé dans ce but [de vérification des
aptitudes et de capacité à se conformer aux objectifs] et, quand il l’est, il se révèle d’un maniement malaisé_ ». Les travaux montrent ainsi que les réformes résultent d’une pluralité de
facteurs et de logiques, certains externes à l’institution policière, qui ont pour conséquence de peu traduire les orientations de doctrine portées par les autorités. En outre, F. Gautier
met en évidence que « _les agents en charge des opérations de sélection disposent (…) d’une marge de manœuvre importante pour fixer les droits d’entrée effectivement exigés des candidats.
Leurs pratiques tendant alors à favoriser la reproduction de l’institution, bien plus que sa transformation _ ». L’auteur montre ainsi que la « mise en textes » du concours ne peut être
confondue avec le dispositif lui-même et la façon dont le recrutement se déroule. « _Bien que l’ensemble des documents administratifs qui le mettent en formes constituent autant de
prescriptions impératives, ils ne peuvent déterminer les conduites des recruteurs_ », qui disposent toujours d’un pouvoir d’appréciation, en particulier durant l’épreuve d’entretien orale
laquelle, en pratique, est déterminante pour décider ou non du recrutement. Or, l’observation des épreuves d’entretien oral faite par l’auteur l’a conduit à constater une forte tentation des
membres de jurys à recruter des candidats jugés capables d’intégrer l’institution, de se joindre au groupe et de s’y fondre. Ils tendent ainsi de fait « _et sans que ce soit nécessairement
leur objectif consciemment recherché – à définir un « modèle » officieux de gardien de la paix, déconnecté des injonctions officielles_ », ce modèle favorisant la reproduction de
l’institution et peut ainsi s’opposer à la volonté de changement portée par les autorités politiques et administratives. La question de la relation à la population (la capacité à interagir
sereinement et positivement, à informer, à assister) n’occupe que peu d’importance dans les critères implicites retenus par les jurys. L’une des causes de cette reproduction par le biais du
concours réside dans la composition des jurys de recrutement, globalement très peu ouverte, s’agissant de la police, à la présence d’acteurs en contact pourtant permanent avec les policiers
: la présence des membres du corps préfectoral n’est assurée que pour les commissaires, aucun élu n’est présent dans les jurys des concours d’officiers et de commissaires[18], sans même
évoquer la participation de personnalités qualifiées. Les examinateurs qui contribuent à la correction des épreuves écrites et orales sont quasi exclusivement des policiers. Une endogamie
aussi prononcée n’est pas sans soulever de difficultés s’agissant du recrutement d’agents de la force publique positionnés au cœur de la vie de la cité. Cette action devra également
nécessairement s’appuyer sur une évolution du contenu de la formation initiale post-concours. * DES ÉPREUVES INADAPTÉES Les épreuves du concours de gardien de la paix comportent aujourd’hui
: une étude de cas pratiques à partir d’un dossier de 15 pages destiné à évaluer les capacités rédactionnelles, de compréhension d’une situation professionnelle, d’analyse et de synthèse des
candidats ainsi que leur faculté à se projeter dans leurs futures missions ; des tests psychotechniques ; un test d’endurance cardio-respiratoire (TECR) et parcours d’habileté motrice
(PHM), un entretien avec le jury. Ce format résulte d’une décision de réduction du nombre d’épreuves à la fin des années 2010, afin de faire face à l’augmentation du nombre des recrutements
consécutive aux deux plans quinquennaux de renforcement. Outre la modification de la composition des jurys, ont ainsi été supprimées du concours de recrutement du CEA l’épreuve de gestion du
stress, jugée non sélective et chronophage, et une des deux épreuves écrites. Ainsi, les attendus au stade du recrutement initial de fonctionnaires amenés à exercer quarante ans durant
ont-ils été modifiés pour faire face à une problématique conjoncturelle de capacité d’organisation logistique des concours. Le concours externe de sous-officier de la gendarmerie diffère de
celui de gardien de la paix et comporte une épreuve de culture générale et un test de logique présenté sous la forme d’un QCM (phase d’admissibilité) puis, pour l’admission, un entretien et
une épreuve physique. Alors que le métier de policier ou gendarme sera entièrement régi par le droit, aucune connaissance juridique préalable n’est exigée ; les candidats ne sont pas testés
sur leurs connaissances, même minimales, des institutions, de la séparation des pouvoirs, des droits et devoirs des policiers. Certes, le niveau de recrutement (bac) ne permet pas
nécessairement de suivre préalablement une formation juridique (le baccalauréat professionnel « métiers de la sécurité » comporte toutefois une unité d’enseignement « économie-droit ») ;
certes encore, les concours doivent être le plus ouverts pour lisser les biais de sélection. Mais le raccourcissement de la formation initiale post-concours réduit d’autant la possibilité
pour les lauréats d’assimiler des éléments pourtant fondamentaux de leur action quotidienne. Par ailleurs, alors qu’une partie centrale de leur travail consistera en un travail relationnel
constant avec le public et avec leurs collègues, on ne compte aucune mise en situation ou jeux de rôle où les savoir-être et capacités de communication sont évaluées[19]. La mise en œuvre
de la police de sécurité du quotidien (PSQ), à partir de fin 2017, début 2018, ne s’est pas accompagnée d’une évolution du contenu et de la forme des épreuves. Il n’existe pas davantage
d’épreuve visant à tester les capacités relationnelles des candidats dans leurs interactions avec la population comme avec les potentiels mis en cause. On notera pourtant que, pour le
recrutement au sein de feu l’école nationale d’administration, une telle évaluation de la capacité des candidats à interagir au sein d’un groupe a été jugée indispensable… Enfin, le Beauvau
de la Sécurité souligne l’intérêt du recours à la formation professionnalisante pour l’accès aux concours (BAC Pro et BTS métiers de la sécurité) et l’hypothèse de donner aux candidats issus
de ces formations un « avantage » au concours. Il met également en avant les classes préparatoires intégrées de la gendarmerie et de la police. Ces réflexions et initiatives sont
pertinentes et méritent d’être prolongées ; elles ne concernent cependant à ce stade qu’un nombre limité de personnes. PROPOSITIONS : * Mettre davantage en cohérence le contenu des épreuves
des concours d’entrée, notamment ceux de gardiens de la paix, avec les référentiels de compétences propres à chaque corps. Ainsi, une réflexion gagnerait à être organisée sur l’élargissement
des compétences testées ou encore l’introduction d’une mise en situation individuelle ou collective visant à tester le comportement et l’attitude des futures recrues ; * Un programme de
révisions pourrait être notifié aux candidats, les obligeant à acquérir des connaissances de nature juridique et d’autres relatives aux institutions et principes d’organisation du pays. Avec
l’élévation des exigences procédurales opposables à tout fonctionnaire de police, une épreuve visant à éprouver la familiarité des policiers avec les principes fondamentaux de nos
institutions politiques et de notre système juridique pourrait être instituée. En outre, la capacité à comprendre le monde social et les territoires dans lesquels ils évolueront est
également crucial. Un niveau de culture générale relatif aux questions contemporaines doit aider à mieux les préparer à leurs futures fonctions. * Les voies de recrutement dédiées aux
policiers adjoints et gendarmes adjoints volontaires (GAV), ainsi qu’aux cadets dont le nombre est en chute libre doivent être préservées, ces voies d’accès permettant de tester
préalablement les candidats sur leurs capacités opérationnelles, leurs compétences relationnelles et leur aptitude à exercer des missions d’autorité. * L’ouverture systématique des jurys de
concours, notamment pour les gardiens de la paix et de sous-officiers de gendarmerie, à des membres externes aux forces de police et gendarmerie (élus, membres d’autres administrations,
universitaires spécialisés, etc.) devrait contribuer à limiter le risque d’endogamie. Par ailleurs, mettre en place des lettres de mission spécifiant les attentes lors des jurys d’admission,
notamment sur les compétences et aptitudes attendues, doit permettre de favoriser le recrutement de profils plus en lien avec les compétences (notamment relationnelles) attendues. 4. LA
FORMATION INITIALE CONSTATS : * UN DISPOSITIF HISTORIQUEMENT INTÉGRÉ AU SEIN DE LA GENDARMERIE, ENCORE MORCELÉ CÔTÉ POLICE NATIONALE Au sein de la Gendarmerie nationale, la scolarité
initiale des élèves gendarmes s’organise en deux niveaux principaux : – la formation des officiers est dispensée à l’École des officiers de la gendarmerie nationale (EOGN) et s’étale sur une
période de deux ans ; – celle des sous-officiers se déroule dans l’une des cinq écoles de gendarmerie. D’une durée de 12 mois, elle comprend une scolarité de 8 mois en école, suivie d’un
stage d’application de 4 mois au sein de leur unité d’affectation. Si les deux niveaux de formation sont distincts, la scolarité des élèves gendarmes, quel que soit leur corps
d’appartenance, est organisée et pilotée au niveau central la sous-direction des compétences et le commandement des écoles. Cette intégration vise à assurer la cohérence des formations
dispensées aux sous-officiers dans les écoles de la gendarmerie et de favoriser l’articulation avec la formation des officiers. * AU SEIN DE LA POLICE NATIONALE, LE DISPOSITIF DE FORMATION
INITIALE DEMEURE PLUS FRAGMENTÉ. Il a été réformé en 2017, à la suite d’un rapport de l’inspection générale de la police nationale[20] qui dénonçait l’éclatement des responsabilités entre
plusieurs acteurs et plusieurs opérateurs. Si le morcellement qui prévalait a été considérablement réduit grâce à la fusion des structures, voire dans certains cas leur suppression, la
rationalisation engagée n’en demeure pas moins incomplète. Le dispositif de formation initiale au sein de la police nationale continue, en effet, d’être scindé en deux branches autonomes et
faiblement articulées entre elles : – La formation initiale des gardiens de la paix, assurée au sein de neuf écoles de police, et coordonnée par la direction centrale du recrutement et de la
formation de la police nationale (DCRFPN). Ces mêmes écoles assurent également la formation des policiers adjoints et des cadets de la République ; – la formation des commissaires et des
officiers est, quant à elle, dispensée par l’école nationale supérieure de la police (ENSP), établissement public rattaché directement au directeur général de la police nationale, dont
dépendent les écoles de Saint-Cyr-au-Mont-d’Or, chargée de la formation des commissaires, et de Cannes-Écluse, chargée de la formation des officiers. La DCRFPN n’en assure, en pratique,
qu’une tutelle distante. Comme le soulignait un rapport parlementaire[21], « _cette séparation de la formation__ nuit, en pratique, à la cohésion des corps et à l’émergence d’une culture
commune au sein de la police nationale_ ». Ainsi que le relevait l’inspection générale de la police nationale (IGPN), elle « _induit des difficultés pour les agents qui ont du mal à
identifier clairement leur position, leur rôle et leurs missions au sein du dispositif policier » _et_ « rend difficile la bonne compréhension de la chaîne hiérarchique par les différents
corps_ » ». La cohérence pédagogique entre les formations n’est, de ce fait, pas correctement assurée. Un rapport (non public) de l’inspection générale de l’administration (IGA) sur
l’organisation structurelle du dispositif de formation police nationale rendu en juillet 2019 et cité par le Sénat dresse ainsi le constat de relations « _distantes _ » entre les deux
instances en charge de la formation au sein de la police nationale, la DCRFPN et l’ENSP, et conclut à la nécessité d’une réforme de structures. Il examine trois évolutions possibles : le
renforcement de la tutelle de la DRCFPN sur l’ENSP ; la réintégration de l’école des officiers de Cannes-Écluse au sein de la DRCFPN, en la détachant complètement de l’ENSP ; la suppression
de l’ENSP et la réintégration de ses missions au sein de la DCRFPN. Dans un rapport de février 2022[22], la Cour des comptes estime quant à elle que « _la gouvernance de la formation reflète
l’ambition, jamais parfaitement atteinte, de parvenir à une stratégie unifiée en dépassant les cloisonnements entre les trois corps de policiers et entre les directions d’emploi_ ». Elle
estime « _nécessaire de faire évoluer _[cette gouvernance]_ pour permettre à la direction qui en sera chargée d’exercer pleinement la tutelle sur l’ENSP et de disposer d’une vision
consolidée et prospective des besoins et moyens de la formation au niveau de la police nationale, dans le cadre d’une politique globale des ressources humaines_ ». Les arbitrages se font
encore attendre. L’« académie de police » annoncée par le Président de la République dans son discours de clôture du « Beauvau de la sécurité » en septembre 2021, est mentionnée dans le
rapport annexe au projet de LOPMI. Elle aurait vocation « à _coordonner la formation des policiers_ » et renforcer les outils de formation des nouvelles filières. Mais les contours du
projet demeurent flous. Cette académie pourrait assurément jouer un rôle central dans la structuration et l’animation d’une politique de formation continue. Reste à la faire sortir des
limbes. Une mission de préfiguration est toujours en cours. Son articulation avec la recherche, absolument cruciale, semble encore indéfinie. À elle seule cependant, elle sera probablement
incapable de remédier à la tripartition des corps de policiers. En la matière, une réforme plus ambitieuse est évoquée depuis de nombreuses années : la fusion des corps d’officiers et de
commissaires, à l’instar du modèle en vigueur pour la gendarmerie. Une telle perspective suscite des réactions vives dans les rangs, notamment chez les syndicats de commissaires. Certains
rapports ont déjà porté sur cette hypothèse, pour l’évacuer de façon parfois peu argumentée[23]. Elle devrait pourtant être approfondie. En premier lieu, du fait de l’évolution sociologique
du recrutement des commissaires et des officiers observée ces dernières années, les différences s’atténuent dans le profil des candidats des différents concours : une part écrasante des
candidats au concours externe d’officier est titulaire d’un master[24] ; dans le même temps, la part des élèves issus de Sciences Po Paris lauréats du concours externe de commissaire est
croissante, aux dépens des élèves de faculté de droit. Les profils des concours externes convergent donc de plus en plus. D’autre part, le modèle gendarmerie, certes adapté à un
fonctionnement et une gestion militaires des agents, présente l’avantage d’une plus grande cohésion entre officiers et sous-officiers et, pour les premiers, celui d’un parcours large et
diversifié, à divers niveaux de responsabilités, permettant l’acquisition d’une large palette de compétences et celle d’une légitimité renforcée pour l’exercice d’un métier qui requiert de
grandes capacités de sang-froid, de maîtrise et d’aptitude à gérer un collectif de travail. Enfin, la moitié des lauréats du concours de commissaire étant, en moyenne, d’anciens officiers,
les implications d’une telle réforme seraient limitées. Ce chantier maintes fois ouvert, jamais refermé faute d’arbitrage politique ne risque guère d’avancer à court terme. Dans l’attente,
et à compter de l’automne 2020, les élèves commissaires, officiers et gardiens de la paix devaient débuter leur formation en école par le suivi, pendant un mois, sur un site unique,
d’apprentissages partagés apportant un « socle minimal de connaissances et de valeurs communes », qu’il s’agisse de la connaissance de l’institution, de la déontologie ou encore des
compétences relationnelles du policier. La première session a été reportée en raison du Covid. Cette mesure, quoi qu’il en soit, n’aura pas le même effet structurel que la fusion des corps
évoquée. * UNE FORMATION INITIALE RACCOURCIE POUR PERMETTRE D’ABSORBER LE FLUX DE RECRUTEMENTS DES ANNÉES 2010 À 2020 Depuis 2015, la mise en œuvre du recrutement et de formation de la
police et de la gendarmerie a été modifiée, parfois dans l’urgence, afin d’absorber les flux importants de nouveaux entrants résultant des décisions de renforcement des services de sécurité
intérieure. Plusieurs mesures provisoires ont, dans un premier temps, été mises en place. – Au sein des deux forces, les durées de formation en école ont été temporairement réduites afin
d’accélérer les incorporations. Initialement fixée à 12 mois en école de police[25], elle a été réduite à 9,5 mois en 2016 et 2017 pour absorber le pic de recrutements consécutif aux
attentats de 2015. Rétablie à 12 mois en 2017, elle a été ajustée pour répondre à certains besoins opérationnels avant d’être de nouveau raccourcie à 8 mois seulement en 2020 et 2021 afin de
permettre le renfort des services opérationnels sur fond de crise sanitaire. De la même manière dans la période consécutive aux attentats de 2015, le temps de la scolarité en école des
sous-officiers de la gendarmerie a été réduit à 6 mois, contre 9 mois en temps normal. En parallèle, une restructuration plus durable des modalités de formation a été réalisée, à travers : –
un renforcement des effectifs des cadres de formation, – des travaux au sein du site de Cannes-Écluse pour augmenter les capacités d’accueil afin d’abriter deux promotions annuelles de 400
élèves officiers de police, – la création d’une école d’élèves sous-officiers de la gendarmerie, à Dijon. On notera toutefois qu’aucune création d’écoles de gardiens de la paix n’a été actée
côté police, ni de travaux réalisés pour augmenter les capacités des écoles existantes. La réforme opérée en 2020 mérite l’attention. La formation a été organisée en deux temps : tout
d’abord, une période de 8 mois en école de police, dédiée à l’acquisition des connaissances fondamentales et à des exercices pratiques ; ensuite, une période dite de « formation continuée »,
d’une durée de 16 mois, au cours de laquelle les gardiens de la paix étaient en poste mais continuaient à faire l’objet d’actions de formation (formation à distance de type e-learning,
suivi de modules de formation continue), par une implication étroite de la hiérarchie. Séduisante au plan théorique, cette réforme risquait cependant de se heurter à la difficulté
structurelle, pour les services de première affectation, de consacrer le temps et d’affecter les encadrants adaptés pour accompagner cette période de « formations continuées ». Ce risque
était d’autant plus grand que la charge de cette période post-école reposait, pour environ ¾ des nouveaux gardiens de la paix, sur la préfecture de police, laquelle – comme évoqué
précédemment – se distingue par un taux d’encadrement particulièrement bas et des sollicitations opérationnelles très fortes. Compte-tenu de ces difficultés, la décision a été prise par le
ministère de rétablir dès 2022 la durée de formation en école à 1 an. Aucune de ces mesures d’ajustement n’est neutre. Leurs successions à brefs intervalles et leurs conséquences sur le
niveau des recrutements n’ont pas été évaluées, à ce jour. On peut toutefois considérer que, excessivement raccourcie ces dernières années pour des raisons conjoncturelles, la formation
initiale ne joue plus correctement son rôle fondamental de préparation de jeunes recrues à leurs futures responsabilités. L’appui sur les unités d’accueil pour la prolonger et la parfaire
est, pour une large part, théorique, du fait de la forte sollicitation des unités. Sas d’entrée dans le métier, la formation doit être repensée dans le sens d’une véritable période de
préparation au métier. Sa durée doit être normée et stabilisée dans le temps, et ne plus servir de variable d’ajustement aux capacités physiques d’accueil des écoles de formation. Le cas
échéant, le nombre de ces dernières doit de nouveau augmenter. Le contenu de la formation doit également être révisé pour mieux intégrer les volets juridiques, institutionnels et
sociologiques. Les jeunes recrues doivent être sensibilisées aux évolutions du pays dans lequel elles vont œuvrer, aux évolutions de sa population, des phénomènes de délinquance et de
criminalité. Elles doivent être initiées au changement des modes et formes de légitimité institutionnelle. Le Beauvau de la Sécurité insiste sur les trois orientations qui doivent inspirer
l’évolution de la formation initiale des écoles de police : – l’individualisation de la formation en fonction des parcours professionnels et des compétences ; des apprentissages partagés aux
trois corps de la police ; – la consolidation du socle de priorités et de valeurs communes (déontologie, accueil des victimes, lutte contre les discriminations…). Ce socle a été
sensiblement renforcé ces dernières années. Sa consolidation et sa pérennisation sont fondamentales. Pour ce faire, les interventions gagneraient à être articulées à la réflexion plus
générale sur les aptitudes, savoir-faire et formations relatives aux relations entre les services de police et de gendarmerie et la population. Pour la gendarmerie, la seule piste
d’évolution mise en avant est relative au rôle que les centres régionaux d’instruction pourraient jouer pour regrouper les élèves-gendarmes sur des modules socles, afin de garantir
l’homogénéité des acquis et des retours d’expérience (RETEX). La stabilisation de la formation initiale sera toutefois conditionnée à la capacité de la police et de la gendarmerie de porter
une vision prospective de leurs recrutements. PROPOSITIONS : * Normer la durée de formation initiale des policiers et gendarmes et l’inscrire pour qu’elle ne soit plus une variable
d’ajustement de la contrainte budgétaire ou des soubresauts conjoncturels des recrutements. * Instituer une structure nationale en charge d’élaborer le contenu de la formation initiale des
policiers et gendarmes : sur proposition de la DGGN et de la DGPN, elle déterminerait le contenu pédagogique, la nature des formations et sensibilisations pratiques incluses dans cette
période, communes aux services de sécurité. Cette structure abritée au sein du ministère de l’Intérieur serait également composée de personnalités extérieures et articulée au monde de la
recherche. Les spécificités propres à chacune des deux directions continueraient d’être prises en compte. * Adapter le réseau des écoles en fonction des besoins. La gendarmerie y a procédé
en 2016 en créant une école à Dijon. Le réseau des écoles de police n’a pas évolué et doit être repensé. Le projet de LOPMI mentionne la création d’une école de police en Île-de-France. *
Renforcer les formations relatives à la déontologie et à l’éthique, et à la remise en question de ses préjugés personnels (avec des interventions extérieures, la réalisation de jeux de rôle)
à partir de cas pratiques permettant de raisonner sur la déontologie « en actes »[26]. * Diversifier les profils de formateurs (au-delà des seuls policiers) pour délivrer des connaissances
et des savoir-faire extérieurs à l’institution (et donc diminuer la logique de fermeture culturelle des policiers) et mieux préparer les agents à une activité qui reposera sur leur insertion
dans les territoires. * Systématiser le recours aux simulations et jeux de rôle qui permettent de se mettre dans la peau de tous les participants des interventions policières (policiers et
gendarmes, mais aussi plus largement, agresseurs, victimes et témoins[27]), encourager les policiers à s’auto-évaluer et encourager la réflexivité. * Envisager, comme le propose le Beauvau
de la sécurité, une alternance entre scolarités et stages, avec retour des policiers au cours des tout derniers mois ; * Solenniser, comme le propose également le Beauvau, la scolarité, avec
à l’issue, pour chaque policier, un contrat d’engagement à signer ; 5. UNE CARRIÈRE À VIE CONSTAT : PEUT-ON EXERCER LE MÉTIER DE POLICIER OU GENDARME DE TERRAIN TOUTE UNE CARRIÈRE DURANT ?
LE POIDS DE RESPONSABILITÉS EXORBITANTES DU DROIT COMMUN, LA POSTURE DE VIGILANCE PERMANENTE, LA GESTION DE RAPPORTS DE FORCES DANS CERTAINES SITUATIONS D’INTERVENTION, LE TRAITEMENT DE
SUJETS LOURDS ET DÉLICATS SONT-ILS SUPPORTABLES SUR LE LONG COURS ? Des carrières marquées par l’alternance entre des responsabilités opérationnelles exposées, et requérant au demeurant des
capacités physiques qui déclinent inévitablement avec l’âge et des responsabilités de conception et de gestion sont déjà organisées pour les officiers et officiers supérieurs de la
Gendarmerie, avec un accompagnement adapté (principalement sur le plan immobilier). La transposition de ce type de gestion au corps de conception et de direction, et probablement aussi au
corps de commandement de la police nationale doit être envisagée. Pour les gradés, gardiens de la paix et gendarmes, la question se pose différemment. Il pourrait être envisagé des carrières
d’une durée allant de 15 à 20 ans, permettant de développer et mobiliser une compétence et une expertise professionnelles solides, tout en gérant l’effort dans la durée. À l’issue de cette
période, les personnels concernés seraient accompagnés, soit pour progresser en interne vers le corps de commandement, soit dans un processus de reconversion, dans le champ de la sécurité
non étatique (police municipale, sécurité privée) ou dans d’autres domaines. Une autre option consisterait à accompagner ces personnels dans la reconversion vers des métiers de la police ou
de la gendarmerie moins exposés : passage au statut civil sur des fonctions plus administratives (avec une difficulté notable, à savoir le risque de décrochage salarial), orientation vers
des métiers de contrôle … L’approche pourrait être différenciée selon les filières : l’enjeu est peut-être plus fort encore pour les métiers de la sécurité du quotidien que pour ceux du
renseignement ou du judiciaire. PROPOSITIONS : * Envisager la fin du système de la carrière à vie en recrutant initialement pour des durées de 10 à 20 ans. Une étape intermédiaire pourrait
consister à ouvrir la possibilité de recrutement sur contrat en parallèle du recrutement sur concours, * À l’issue de cette période, proposer trois options : reconversion accompagnée,
poursuite de la carrière sous conditions de progression statutaire, poursuite de la carrière sous conditions de changement de filières, * Envisager ce changement a minima pour les métiers de
la sécurité du quotidien, * Envisager pour la police une gestion des carrières permettant d’assurer l’alternance entre fonctions exposées sur le terrain et fonctions plus en retrait. 6. LA
FORMATION CONTINUE ET L’ADAPTATION DES MÉTIERS ET COMPÉTENCES CONSTAT : LE BEAUVAU DE LA SÉCURITÉ CONSTATE LUI-MÊME QUE L’EFFORT DE FORMATION PROFESSIONNELLE CONTINUE AU SEIN DE LA POLICE
ET DE LA GENDARMERIE NATIONALES EST TRÈS INSUFFISANT. A peine plus des deux tiers des policiers ont bénéficié, en 2019, d’une formation continue d’une durée moyenne de 4,5 jours pour les
actifs et de 2,7 jours pour les personnels administratifs techniques et scientifiques (PATS)[28]. Moins des deux tiers des policiers effectuent les entraînements techniques d’intervention et
au tir annuels réglementaires (61,6% en 2020 pour les 3 tirs et 30% pour les 12h de gestes techniques professionnels en intervention (GTPI)). Côté gendarmerie, 22 500 militaires ont
bénéficié d’une formation continue en 2019 (« _sans compter les initiatives locales_ »). Trop souvent, les sollicitations opérationnelles empêchent ces temps de mise à niveau, de prise de
distance et de réflexion, par ailleurs peu valorisés. Or, le contexte dans lequel évoluent policiers et gendarmes ne cesse de se modifier ; la société change ; les phénomènes de délinquance
et de criminalité organisée se transforment, la loi est modifiée, les institutions police et gendarme sont elles-mêmes en mouvement. Particulièrement contraignant, le métier de policier et
de gendarme exige des temps de respiration et de prise de recul, hors du cadre quotidien, pour revenir sur les pratiques professionnelles, le contexte d’action, les attentes de la société.
La formation continue doit donc à la fois inclure de aspectes proprement « métier » mais également aider les policiers et gendarmes à repenser leur action dans la cité. Pourtant, la
formation continue n’est, à ce jour, obligatoire pour les policiers et gendarmes que pour l’accès à certains grades supérieurs, l’obtention de certaines qualifications (OPJ par exemple) et
en matière de techniques et de sécurité en intervention (TSI) pour les personnels actifs de la police nationale et des policiers adjoints (rappelons que cette exigence est la contrepartie de
l’autorisation de port et d’utilisation de l’arme à feu et de la force publique). Cette situation diffère des normes en vigueur pour les polices municipales[29], qui imposent un nombre de
jours minimum, indépendamment des changements de grades ou de qualifications. En l’absence de temps et/ou de parcours de formation continue obligatoire plus large[30], cette dernière est
considérée comme une variable d’ajustement par les services de police et de gendarmerie, comme le relevaient en 2015 l’inspection générale de la police nationale (IGPN) ou en 2016
l’inspection générale de la gendarmerie nationale (IGGN). L’IGGN relevait ainsi un manque d’intérêt et d’investissement du commandement de terrain dans le pilotage de la formation de ses
personnels, insuffisamment considérée comme un véritable levier de performance. La DGGN a tiré certaines conséquences de ces constats : une obligation régulière de formation continue, en
école, a été instaurée pour l’ensemble des gendarmes. Ainsi, depuis 2017, les gendarmes affectés dans les unités départementales ne disposant pas de la qualité d’officier de police
judiciaire et qui n’étaient donc soumis, jusqu’alors, à aucune obligation de formation en cours de carrière (hors TSI), sont désormais tenus de suivre, au moins une fois tous les cinq ans,
un stage de « recyclage » de compétences. D’une durée de quatre jours, ce cycle de formation se déroule au centre national de formation à la sécurité publique, créé en 2017 et intégré à
l’école de gendarmerie de Dijon. Désormais, tous les gendarmes, quel que soit leur corps et leur grade, sont donc amenés, au cours de leur carrière, soit à l’occasion d’un avancement, soit
par obligation, à effectuer des passages en école. Parallèlement à cette réforme, un investissement particulier a été accordé au développement des formations à distance. Cette formation
assurée au niveau central est complémentaire des formations déconcentrées organisées à l’initiative des échelons locaux. Le taux de suivi effectif de ces formations n’est toutefois pas
connu. Une telle démarche n’a pas été retenue au sein de la police. Si des réformes ont été engagées, elles n’ont pas conduit à instaurer une obligation de formation continue, mais se sont
concentrées sur les structures et les maquettes de formation. En 2017, une direction centrale dédiée – la direction centrale du recrutement et de la formation de la police nationale
(DCRFPN), directement rattachée au directeur général de la police nationale, a été créée avec comme objectif premier d’homogénéiser l’offre de formation continue sur le territoire en en
confiant le pilotage à un acteur unique. Sur le plan des contenus, des évolutions ont également été apportées aux maquettes de formation afin de les adapter aux enjeux nouveaux auxquels sont
confrontées les forces de sécurité intérieure (lutte contre le terrorisme, amélioration des relations police-population, prévention des risques psycho-sociaux, etc.). Enfin, un
investissement significatif sur la formation à distance mérite d’être souligné. Entre 2012 et 2019, le nombre d’inscrits sur la plateforme de e-formation de la police nationale est passé de
2 056 à 75 580, tandis que le catalogue de formations digitales passait, dans le même temps, de 8 à 397 cours. Malgré la création de la direction des ressources et des compétences de la
police nationale (DRCPN), l’augmentation des formations à distance, le Sénat relevait dans son rapport précité qu’, « _il semble toutefois que ces évolutions n’aient, à ce jour, pas donné
les résultats escomptés sur le terrain _ ». Ni le nombre de stages dispensés, ni le nombre de personnels formés n’ont connu d’évolution majeure au cours des dernières années. Si une hausse
des formations suivies a pu être observée en 2016 et 2017, celle-ci s’explique par la mise en place de formations dispensées au titre des plans de lutte contre le terrorisme, et non par une
évolution durable du dispositif de formation continue. ÉVOLUTION DU NOMBRE DE SESSIONS DE FORMATION DISPENSÉES ET DU NOMBRE D’AGENTS AYANT REÇU UNE FORMATION AU SEIN DE LA POLICE NATIONALE