Quelle réforme de la carte scolaire ? Pour rompre avec les logiques ségrégatives | terra nova

Quelle réforme de la carte scolaire ? Pour rompre avec les logiques ségrégatives | terra nova


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La refondation de l’école française nécessite des réformes. Certaines, par exemple la formation des maîtres, se sont imposées comme indispensables. D’autres sont plus périlleuses. Il en va


ainsi de la carte scolaire. Depuis 1984, se sont succédé des phases d’assouplissement partiel et de re-sectorisation sans qu’aucune politique n’entraîne pleinement l’adhésion. Cette


situation d’incertitude sur les objectifs à atteindre et les moyens à mettre en œuvre est susceptible de déboucher sur des demi-solutions ou l’immobilisme en l’absence d’une connaissance


suffisante des enjeux de la politique d’affectation des élèves, de bilans argumentés sur les politiques passées, et d’anticipations fortes sur les transformations nécessaires. ENJEUX


Plusieurs types d’arguments montrent toute la centralité d’une politique d’affectation des élèves qui se donne pour objet de favoriser la mixité sociale des établissements. D’abord des


arguments politiques. L’école française ne s’est pas construite sur le modèle de l’apartheid social mais sur le modèle de l’école unique et de la mixité sociale. Aujourd’hui comme hier, dans


une école républicaine, une frange de la population ne doit pas être tenue à l’écart et avoir pour destin objectif une scolarité tronquée, un apprentissage précoce dès la quatrième, un


risque élevé de sortie sans diplôme, une insertion marquée par la marginalisation sociale et professionnelle des _ working_ _ poors._ Un second argument est le pendant sociologique de


l’argument politique. Durkheim considérait que la classe était « une petite société ». Il en est de même des établissements. Si la classe et les établissements sont des modalités scolaires


de regroupement de la jeunesse française, ils sont aussi, et tout autant, des lieux intenses de socialisation où se construisent des univers linguistiques, des processus cognitifs, des


modalités de présentation de soi, des affinités électives, des aspirations sociales. C’est à l’école que se construit la société de demain. La souhaite-t-on divisée, fragmentée, morcelée ?


Ou, au contraire, susceptible d’ouvrir les jeunes générations à la diversité ethnique et sociale de la société française et du monde ? Enfermement ou ouverture ? Un troisième argument est


apporté par les recherches sur l’école. Les systèmes éducatifs ségrégatifs, ceux qui scolarisent dès la classe de sixième les nouvelles générations dans des établissements différents selon


leur origine sociale, sont ceux dans lesquels les inégalités de réussite selon l’origine sociale sont les plus fortes. Il en est ainsi en Belgique, en Hongrie ou en Allemagne. Dans les


systèmes éducatifs fortement ségrégués, les hommes naissent libres et égaux en droit mais deviennent, dès l’enfance, inégaux de fait. Une société ne sera jamais sereine ni solidaire si ses


idéaux et principes fondateurs sont étrangers à l’expérience subjective d’une partie de ses citoyens. De surcroît, les systèmes scolaires ségrégatifs sont généralement moins efficaces : le


niveau scolaire moyen des élèves est plus bas en raison de l’importance numérique des élèves faibles et le nombre de bons élèves est réduit par les sélections protéiformes propres aux


systèmes éducatifs ségrégatifs. La mixité sociale à l’école n’est pas seulement une exigence des sociétés démocratiques, elle est aussi un des fondements des systèmes éducatifs performants.


A ces trois arguments, il faut ajouter celui du lien entre mixité sociale et « climat » des établissements. La recherche a montré que le climat scolaire d’un établissement est un élément de


son efficacité. Que constate-t-on dans l’école française ? 5 % des établissements concentrent à eux seuls, selon les périodes d’enquête, entre 25 à 31 % des incidents violents. Cette


violence scolaire est située dans les établissements les plus fortement ségrégués. Davantage d’adultes mieux formés pour faire face à ces violences scolaires ne sont que des demi-solutions.


Cette violence est structurelle, endémique, liée à la concentration d’élèves en grande difficulté scolaire. L’école n’est plus pour ces élèves une espérance mais un problème, souvent même


une souffrance . La solution la plus efficace, celle qui s’attaque à l’origine du problème, est de réduire le niveau de ségrégation sociale et de favoriser ainsi la réussite scolaire.


Moindre ségrégation sociale et meilleur climat scolaire seront aussi profitables aux nouveaux professeurs nommés dans ces établissements difficiles. BILAN DE LA POLITIQUE D’ASSOUPLISSEMENT


DE 2007 Lors des expériences précédentes d’assouplissement de la carte scolaire, des évaluations statistiques avaient systématiquement été réalisées. Ces évaluations ont été convergentes :


les politiques d’assouplissement ont entraîné une réduction de la mixité sociale des établissements. La politique d’assouplissement mise en place en 2007 présente une spécificité : elle n’a


pas fait l’objet d’évaluations de type scientifique de 2007 à 2011. Sur le site du ministère, la rengaine est la même depuis 2008 : « Permettre aux parents de choisir le collège et le lycée


de leurs enfants est une manière de favoriser l’égalité des chances et la diversité sociale au sein des établissements scolaires » (consulté le 31 août 2012). Cette affirmation n’a plus lieu


d’être. Dès 2008, Obin et Peyroux ont montré une tendance à la réduction de la mixité sociale. Centrée sur la politique urbaine, la Cour des comptes indique en 2009 que sur un total de 254 


collèges « ambition réussite », collèges dont le recrutement est le plus populaire, 73 % d’entre eux ont perdu des élèves. En 2010, une enquête du Syndicat National des Personnels de


Direction de l’Education Nationale, menée auprès des chefs d’établissement, tend à montrer une mise en concurrence des établissements pour attirer les meilleurs élèves et une réduction de la


mixité sociale dans les établissements ZEP. Ces évaluations ont été utiles mais ne sont pas suffisantes : elles reposent principalement sur les opinions des personnels administratifs


interrogés. Ce n’est qu’en 2012 que les premières recherches contractualisées par le ministère ont été publiées. L’étude de Grenet et Fack montre que la réforme d’assouplissement de la carte


scolaire n’a fait que renforcer les évolutions en cours, notamment l’embourgeoisement des établissements privés et la perte d’attractivité des collèges aux recrutements les plus populaires


relevant des réseaux ambitions réussite. Ces résultats sont tout à fait importants mais la recherche est marquée par un certain nombre de limites. Par exemple, l’étude de la transformation


du recrutement social des établissements se limite à la population scolarisée en 6 e . Une telle statistique tend à minimiser l’ampleur des transformations sociales des collèges qui cumulent


sur cinq années les effets des transformations enregistrées au niveau de la 6 e . Une autre limite tient au champ de l’étude qui néglige les dimensions territoriales. L’approche nationale


retenue tend à masquer des phénomènes ségrégatifs localisés dans les banlieues et les capitales régionales. L’analyse menée par Oberti, Préteceille et Rivière apporte pour cette raison des


éléments complémentaires tout à fait essentiels. Leur conclusion est éclairante : « Derrière ces effets apparemment modestes, la réforme a engagé un processus assez profond de


déstabilisation de la scolarisation en collège, déstabilisation des collèges eux-mêmes et déstabilisation des attitudes et pratique des parents » (cité p. 172). A la lecture de ces deux


recherches, le constat est net : la politique d’assouplissement de la carte scolaire de 2007 n’a permis ni plus de diversité sociale, ni une plus grande égalité des chances. Dans la


recherche que nous avons menée, centrée sur le recrutement social des collèges des dix premières capitales régionales , les résultats obtenus approfondissent les analyses précédentes.


L’analyse statistique de l’origine sociale des collégiens dans les secteurs publics et privés montre que le recrutement social des établissements publics et privés s’est spécialisé. Les


premiers scolarisent plus souvent des enfants d’origine populaire ; les seconds plus souvent des enfants d’origine aisée. L’étude spécifique des collèges qui contribuent le plus à la


ségrégation scolaire est à ce titre emblématique des processus ségrégatifs à l’œuvre. Ainsi, dans les collèges nantais, les établissements privés qui contribuent le plus à la ségrégation ont


un recrutement social particulièrement aisé (collèges Externat des Enfants, Sacré Cœur, Saint Joseph du Loquidy) alors que les collèges publics ont un recrutement particulièrement populaire


(Collèges La Durantière, Stendhal, Le Breil) (voir graphique). Plus globalement, de 2007 à 2010, dans les dix premières capitales régionales, les établissements privés se caractérisent par


une _ ghettoïsation par le haut_ , c’est-à-dire un embourgeoisement de leur recrutement, alors que les collèges publics sont marqués par une _ ghettoïsation par le bas_ , celle liée aux


quartiers et établissements populaires. Ces deux phénomènes ne sont pas équivalents. La ghettoïsation par le haut est davantage marquée que la ghettoïsation par le bas. Oberti, Préteceille


et Clément parviennent à un résultat comparable : la ségrégation scolaire se caractérise par une forte concentration des enfants des catégories aisées dans les établissements des beaux


quartiers. RECRUTEMENT SOCIAL DES COLLÈGES PUBLICS ET PRIVÉS NANTAIS QUI CONTRIBUENT LE PLUS À LA SÉGRÉGATION SOCIALE DES COLLÈGES NANTAIS (2010)