
Jean-philippe desbordes : la dérive criminelle d’un « héros du journalisme »
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Jean-Philippe Desbordes a passé son existence à fabuler, extrapolant à partir de détails réels ou empruntant les vies des autres. © Illustration : Sylvain Martini Avant d’être condamné à
vingt ans de prison, Jean-Philippe Desbordes a longtemps été une figure du journalisme d’investigation. Il a travaillé pour « Envoyé Spécial », « La Marche du Siècle », « Pièces à conviction
». Il a aussi beaucoup menti. Mathieu Deslandes Publié le 15 avril 2025 Lorsqu’il se lance dans une enquête, Guillaume D’Alessandro n’hésite pas à donner de sa personne. C’est flagrant dans
les articles qu’il livre au magazine_ We Demain_ : qu’il s’agisse de s'alimenter avec de la nourriture pour animaux, de cesser de se laver pendant un mois ou, pour l’amour de la
science, de se livrer à une dégustation d’urine, le journaliste est toujours partant pour les défis les plus extrêmes. Mais rien, sans doute, ne pouvait le préparer à l’expérience qu’il
vient de traverser : découvrir que celui qui fut un ami proche, et le compagnon de tant de reportages, s’est livré à_ « des crimes abjects »_. En novembre 2024, au tribunal de Foix,
Guillaume D’Alessandro a croisé le regard de cet ancien ami. Jean-Philippe Desbordes y était jugé pour viols et actes de barbarie — entre autres chefs d’accusation. La cour d’assises de
l’Ariège l’a condamné à vingt années de réclusion criminelle et à une injonction de soins. Jean-Philippe Desbordes, qui a eu 55 ans le 10 décembre, a renoncé à faire appel. TYRAN La
couverture de son procès a été maigrelette. _La Dépêche du Midi_ l’a suivi jour après jour, mais uniquement dans ses pages ariégeoises. Impossible de trouver de la place dans les autres
éditions : le procès de Pierre Palmade et celui des « viols de Mazan »_ _saturaient l’actualité judiciaire. Sur CNews, l’avocat Gilles-William Goldnadel a dénoncé _« une omerta médiatique
scandaleuse »_. _« S’il était journaliste à CNews, on en parlerait matin, midi et soir »_, a assuré la polémiste Eugénie Bastié. Pascal Praud et ses invités ont suggéré que si _« personne
n’en a parlé »_, c’est parce que Jean-Philippe Desbordes était _« étiqueté à gauche »_. Parmi les anciens employeurs de Jean-Philippe Desbordes, certains ont eu le réflexe de prendre leurs
distances._ « Journaliste indépendant, il a épisodiquement collaboré avec Radio France pendant quatre ans dans les années 1990 »_, lit-on désormais sur le site des radios publiques. De son
côté, Dov Alfon, le directeur de _Libération_ a supprimé de la page Wikipédia consacrée à l'ancien journaliste toute trace de collaboration à _Libé_ — expliquant qu'aucune source
n'accréditait ce fait et que la signature de Jean-Philippe Desbordes n’apparaissait pas dans la base électronique du quotidien —, avant de la rétablir, dix jours plus tard, après une
exploration des archives papier du journal et des échanges houleux au sein de la rédaction. À l’audience, s’est dessiné le portrait d’un tyran domestique qui a su imposer _« une emprise
physique et psychique »_ aux nombreuses femmes qu’il a fréquentées. La fille aînée de son ex-compagne — qui, en le dénonçant, a permis son arrestation en 2020 — a raconté qu’elle était
contrainte de lui prodiguer des fellations matin et soir — le midi aussi quand l’adolescente de 17 ans n’avait pas cours — et qu’elle subissait plusieurs sodomies par semaine. Plus de 700
viols en seize mois, a-t-elle compté. Parfois, Jean-Philippe Desbordes la promenait en laisse ou l’enfermait dehors, nue. Il promettait qu’elle serait vendue_ « dans les pays arabes » _si
elle résistait. Les enquêteurs ont relevé ce projet dans le journal intime de l’accusé :_ « Prendre des jeunes très belles extérieurement et très abîmées intérieurement, les salir
sexuellement. » _Et ce mémo distribué à toute la famille : _« Love JPD = protection magique. » _Tout comme ses deux petites sœurs, l’adolescente était régulièrement privée de nourriture et
soumise à des punitions insensées : courir pendant des kilomètres, recopier des lignes jusqu’à l’épuisement, recevoir des coups et des bassines d’eau froide, résister au sommeil en écoutant
discourir Jean-Philippe Desbordes jusqu’à une heure avancée de la nuit. INDIANA JONES À cette époque, il n’était plus journaliste. Il se présentait comme thérapeute et professeur d’aïkido.
Avant, il s’était vanté d’être psychiatre, écrivain, éducateur spécialisé, conseiller en gestion d’entreprises, docteur en anthropologie. C’est un homme qui a beaucoup menti et souvent
déménagé, changeant de département chaque fois qu’il était découvert. Il a passé son existence à fabuler. Extrapolant à partir de détails réels ou empruntant les vies des autres, il s’est
construit une légende. Il affirme que sa mère a été la maîtresse de Valéry Giscard d'Estaing et qu’il a été témoin des coups mortels portés à Malik Oussekine en décembre 1986. Depuis,
dit-il, le GIGN a l’ordre de le tuer. En 1994, après qu’une consœur a été blessée par balle au Rwanda, il prétend qu’il s’est lui aussi rendu dans ce pays, pour le journal _InfoMatin_, et
qu’il a été torturé. (Les anciens d’_InfoMatin_ n’ont pas le souvenir de l’avoir fait travailler et son entourage assure qu’il n’a jamais été torturé.) > _« J’étais un héros du
journalisme »_ En 1997, l’archéologue Michel Barbaza accepte d’être accompagné au Burkina Faso par ce journaliste tout feu tout flamme qui affirme avoir déjà séjourné dans la région et
ambitionne de devenir _« le Cousteau de l’archéologie »_. La mission dure une semaine. À son retour, Jean-Philippe Desbordes fait le récit d’un voyage de trente mois. Il a été _« adopté et
initié par les Bissas »_ et a _« eu accès à des choses qu’aucun Blanc n’a jamais vues »,_ jubile-t-il._ _À l’entendre, il a _« vécu comme Indiana Jones » _et_ « découvert un site
archéologique »_ (le site en question était déjà connu). Plus tard, une conversation avec Théodore Monod a fait de lui_ « son dernier élève »_. Mais la grande carrière universitaire à
laquelle il était promis a été enrayée _« en raison de la personnalité de Claude Allègre »_. GESTAPO Peu après son arrestation, en septembre 2020, Jean-Philippe Desbordes a été examiné par
une psychiatre. Il lui a dit que sa mère ne l’avait jamais aimé, qu’il détestait la violence et qu’il n’était pas attiré par la sexualité sadomasochiste. Il a aussi eu cette phrase :_ «
J’étais un héros du journalisme. » _En découvrant ces mots, j’ai essayé d’oublier la grandiloquence qui les plombe, puis je me suis demandé si, là encore, Jean-Philippe Desbordes tordait la
réalité. Ou si, pour une fois, il disait quelque chose de vrai. Mais peut-on mentir comme on respire et être un bon journaliste ? Le jeu de piste commence à Reims, à la fin des années 1980.
À force de passer devant les bureaux de la locale de Radio France, Jean-Philippe Desbordes, alors inscrit en fac d’histoire, ose un jour en pousser la porte et devient pigiste au service des
sports. Pendant une saison, il présente aussi la météo sur FR3 Champagne-Ardenne. Les mois passent et les archives conservées par l’INA permettent de suivre sa trace d’une locale de Radio
France à l’autre — classique parcours de débutant — jusqu’à Orléans, qui lui offre son premier scoop. À l’approche des élections régionales de 1992, Jean-Philippe Desbordes s’intéresse au
pedigree de Paul Malaguti, candidat du Front national dans le Loiret. Ce qu’il découvre est si croustillant qu’il contacte _Le Canard Enchaîné_. Un journaliste de l’hebdomadaire satirique,
Jean-François Julliard, poursuit l’enquête. Leurs révélations paraissent le 26 février 1992 : _« Un ex-agent de la Gestapo, tête de liste Le Pen dans le Centre »._ FAUX BILLETS Le
retentissement de ce papier pousse Jean-Philippe Desbordes à quitter le circuit des locales de Radio France. Le journalisme qu’il entend pratiquer est d’une autre envergure. Il fait le siège
du _Canard. _L’une des plumes du journal, Alain Guédé, se souvient de discussions qui s’éternisaient le lundi soir. _« C’était un oiseau de nuit, et un journaliste de très grande qualité,
extrêmement dynamique, curieux de tout, fiable, l’esprit un peu chasseur. » _Selon Jean-François Julliard, devenu son _« [agent] traitant »_ au sein du journal, Jean-Philippe Desbordes a
livré une dizaine de piges au_ Canard Enchaîné_. Mais l’embauche à laquelle il aspirait n’a pas été sérieusement envisagée. Ses scoops semblaient trop irréguliers, ses qualités
rédactionnelles discutables, son tempérament incontrôlable. Une source le met cependant sur la voie d’un bon sujet. Avec le reporter-cameraman Jean-Jacques Le Garrec, il remonte la filière
d’un trafic de drogue, filme un laboratoire clandestin d’héroïne et clame : _« L’infiltration, c’est pour moi. » _Les informations récoltées lui permettent de détailler cette histoire : la
Banque centrale de Téhéran imprime de faux billets de 100 dollars, massivement utilisés par les trafiquants de la région… et par le régime irakien pour acheter au marché noir les biens sous
embargo depuis la fin de la guerre du Golfe. Consécration : le reportage que coréalise Jean-Philippe Desbordes est diffusé en octobre 1992 dans « Envoyé spécial », le grand magazine du jeudi
soir, sur France 2. CADORS Fort de ce coup, Jean-Philippe Desbordes intègre l’équipe de l’émission la plus prestigieuse du moment : « La Marche du siècle », proposée par Jean-Marie Cavada
chaque mercredi sur France 3. Les rédacteurs en chef décident de l’associer à un autre reporter. C’est ainsi qu’il fait la connaissance de Guillaume D’Alessandro._ « On se découvre
totalement complémentaires, _relate ce dernier. _Moi, je suis plutôt dans le conceptuel, le mûrissement des choses. Lui, il est totalement dans l’énergie. C’est un type capable de prendre
des rendez-vous à 7 heures du matin. À l’époque, il lit aussi beaucoup de livres d’histoire, et comme il a une mémoire phénoménale, ça fait de lui un journaliste plus cultivé que la moyenne.
»_ Le duo se découvre une passion commune pour tout ce qui touche au nucléaire. Ensemble, ils vont s’embarquer dans _« un tour de France des sites ultrasecrets de la recherche nucléaire »_,
retracer_ « l’histoire secrète de la bombe atomique française »_ et décrire les conséquences des essais nucléaires._ « Pardon si ça sonne orgueilleux, mais dans le domaine du journalisme
d’investigation, on était des stars »_, dit Guillaume D’Alessandro. Une des petites mains de l’équipe, Pierre-Henri Gergonne, rappelle que « La Marche » attirait _« les meilleurs reporters
de France »_ :_ « C’étaient des cadors, et Jean-Philippe Desbordes était considéré comme l’un des dix meilleurs enquêteurs de ce pays. »_ PEINTURES RUPESTRES En 1994, Guillaume D’Alessandro
est approché par la rédaction de _Libération_. Le journal est à la recherche de grandes enquêtes pour alimenter une future déclinaison hebdomadaire._ _Le journaliste propose de dévoiler _«
comment l’armée française a testé des gaz de combat et des armes chimiques à une station de métro de Paris, dans les casemates du fort d’Aubervilliers »_. Il entraîne son camarade
Jean-Philippe Desbordes dans ce projet. Ils font l’enquête à deux,_ _Guillaume D’Alessandro organise la structure de l’article, Jean-Philippe Desbordes se charge du récit. À_ Libé_, c’est le
journaliste Gérard Desportes qui réceptionne le papier. _« Je me souviens de l’avoir édité, et fait refaire un nombre important de fois. Je suis même allé sur place pour essayer de trouver
d’autres infos. [Marc] Kravetz, qui dirigeait le mag, a beaucoup hésité à le publier. Moi aussi. » _Finalement,_ _le sujet fait la couverture du premier numéro de _Libération magazine._
Guillaume D’Alessandro l’achète et bondit : _« Desbordes avait fait sauter ma signature. Le traître. » _Le magazine fait un flop. Passée cette unique contribution, Jean-Philippe Desbordes ne
travaillera plus jamais pour_ Libération_. > « Il avait un talent de caméléon » Pour « La Marche », il filme le cabinet du_ « premier flic de France »_, Charles Pasqua, et, blouson en
cuir sur les épaules, s’immerge une semaine au 36, quai des Orfèvres. Il s’intéresse aux ravages de l’alcool au volant et au surendettement. Chaque sujet déclenche chez lui une implication
d’une intensité peu commune, qui marque ses collègues sans les inquiéter outre mesure. _« C’était un très bon enquêteur, toujours un peu sur la brèche, mais l’équilibre n’était pas la
qualité la plus recherchée dans notre métier »_, témoigne l’un de ses rédacteurs en chef, Hervé Brusini, aujourd’hui président du prix Albert-Londres. Rarement chez lui, Jean-Philippe
Desbordes goûte le confort de cette vie sur note de frais. Pour Arte, il signe un film sur le cannabis, une de ses grandes passions. Et puis, il sombre, une première fois. Il soutient qu’il
a refusé un pont d’or de Jean-Luc Delarue (l’animateur-producteur est mort en 2012 et Gilles Couderc, son ancien bras droit, n’a aucun souvenir d’une telle offre). Il cesse de travailler
pendant plus d’un an. Au retour d’un voyage en Afrique, son ami Guillaume D’Alessandro le retrouve _« à moitié clochardisé » : « Le jour, il jouait du djembé aux Buttes-Chaumont. Il
apostrophait les passants : “Réveillez-vous, bande de cons !” La nuit, il démarrait sa moto et faisait des tours de périphérique à 180 km/h. Et puis, il enchaînait les pétards. » _Dans son
appartement du Xe arrondissement, il a refait la déco : du sol au plafond, il a peint des motifs rupestres. CANNABIS Dans un café du quartier, il flashe sur la serveuse. Elle est originaire
de Berlin, céramiste de vocation. Ils s’installent très vite ensemble. Jean-Philippe Desbordes fantasme la conception d’un _« enfant de la réconciliation franco-allemande »_. Bientôt, il se
remet au travail. En plus de « La Marche du siècle », il contribue au « Vrai Journal » de Karl Zéro et au magazine scientifique « Nimbus », présenté par Élise Lucet ; il caresse le projet
d’une thèse sur la scarification, devient père d’un petit garçon puis, comme tant d’anciens de l’écurie Cavada, il rallie « Pièces à conviction », le grand rendez-vous d’investigation lancé
en 2001 sur France 3. Charismatique et séducteur, _« il avait un talent de caméléon, une capacité à toujours se mettre au niveau de son interlocuteur »_, dépeint Guillaume D’Alessandro.
Pascal Richard, le rédacteur en chef de cette nouvelle émission, évoque un homme qui _« ne doutait jamais »_. Il insiste : _« C’est étonnant. Les journalistes passent leur temps à douter.
Desbordes, lui, était toujours persuadé d’avoir trouvé la martingale et de raconter l’histoire comme personne avant lui. »_ Une de ses enquêtes dénonce une forme d’abus de confiance : des
clients de La Poste ont été poussés à placer leur épargne en Bourse sans vraiment comprendre les risques encourus. Il pratique volontiers un journalisme redresseur de torts et reprend les
causes d’un certain nombre de collectifs qui lui apportent informations et témoignages. Au bureau, cependant, son orgueil démesuré commence à lasser. Il pose en disciple du
réalisateur-ethnologue Jean Rouch. Dès que le champ est libre, il entreprend ses supérieurs, vante son grand talent, son expérience incomparable, et explique pourquoi l’émission serait bien
meilleure si on lui en confiait la direction. Quant aux monteurs de ses films, ils sont épuisés par les discours interminables qu’il leur impose,_ « d’effrayantes logorrhées qui, au même
titre que le sexe et les pétards, apaisaient ses angoisses »_, décrit Guillaume D’Alessandro. Sa consommation de cannabis atteint désormais _« un joint par quart d’heure », _selon ses
anciens collègues. _« J’allais dans sa salle de montage pour visionner le travail de la journée. Quand j’en sortais, j’étais stone »_, se souvient Pascal Richard. MANIPULATIONS Au fond, plus
grand monde n’a envie de travailler avec lui. Un temps, une de ses nombreuses maîtresses, cadre à France 2, lui dégote des jobs d’appoint : des commentaires à réécrire pour des
documentaires, des voix off pour des émissions. Il donne quelques cours, aussi. Mais les magazines d’investigation se ferment à lui. Loin du siège de France Télévisions, pourtant, son aura
demeure._ « Un gros cerveau,_ _il faut qu’il se vide »_, professe-t-il, alors il écrit. Entre 2006 et 2012, il signe notamment trois essais chez Actes Sud. _« Dans le premier, il a
décortiqué la domination du lobby atomique. Dans le deuxième, les manipulations du marketing. Dans le troisième, le harcèlement managérial. En faisant ces livres, il a appris la
manipulation, il en a assimilé toutes les techniques »,_ constate rétrospectivement Guillaume D’Alessandro. Les livres de Jean-Philippe Desbordes font office d’alibi pour expliquer sa
désertion des écrans : ses textes dérangent tellement _« les pouvoirs »_, vous comprenez… Les journalistes qui le reçoivent à la radio soulignent qu’il est publié _« dans la même collection
que le _No Logo_ de Naomi Klein »_ ou le présentent comme un _« guerrier des vérités pas très télégéniques »_. En écoutant toutes ces archives, je réalise que nous nous sommes un jour
retrouvés ensemble dans un studio de France Culture. Je me rappelle vaguement son regard à la Vincent Lindon, mais je n’avais pas mémorisé son nom. Dans cette émission, Jean-Philippe
Desbordes déclame : _« Face à une raison d’État, il faut être acharné pour travailler. »_ > _« Il pétait un câble et devenait extrêmement agressif »_ Une dernière fois, il parvient à
convaincre un producteur de financer un documentaire sur les victimes d’essais nucléaires. Christine Bonnet, qu’il avait connue comme chef monteuse à « La Marche du siècle », est recrutée
comme coréalisatrice. Elle dépeint une expérience éprouvante : _« Il a mis en danger le film, inquiétant certains témoins que j’ai dû rattraper au vol. Dès qu’un désaccord surgissait, ce
type intelligent et charmant changeait du tout au tout. Il pétait un câble et devenait extrêmement agressif. Comme s’il avait une double personnalité. »_ Définitivement grillé, il_ _se jette
à corps perdu dans l’aïkido. Il quitte Paris pour Marseille, puis s’établit dans la Drôme avant de gagner l’Ariège. Le journalisme, désormais, est un souvenir. Et un sauf-conduit pour la
suite de son parcours : comment douter de quelqu’un qui tutoie Élise Lucet et Jean-Marie Cavada ? Partout où il passe, son CV de journaliste suscite la confiance. Il met sur pied des
ateliers de maîtrise de soi par l’aïkido pour le compte de la Protection judiciaire de la jeunesse. D’autres à destination des femmes battues _« pour qu’elles apprennent à se protéger »_.
C’est dans ce cadre qu’il rencontre sa dernière compagne. Et qu’il laisse libre cours à ses penchants criminels. TRAUMATISMES Quand il a été convoqué pour répondre aux questions de la police
judiciaire au sujet de son ex-ami, Guillaume D’Alessandro, mortifié, s’en est voulu de_ « ne pas avoir vu la nature du danger »._ Il a aussi repensé à des reportages_ « sur les marginaux en
errance qui aboutissent immanquablement en Ariège »_. Comme tous ceux qui ont côtoyé Jean-Philippe Desbordes, il revisite l’histoire de leur relation à la lumière des faits pour lesquels la
justice l’a condamné. Christine Bonnet, elle, a pris connaissance de la dérive de son ancien collègue en tapant son nom dans un moteur de recherche — elle avait besoin de le joindre pour
régler une question administrative liée aux films qu’ils ont cosignés. Elle n’a pas été étonnée par ce qu’elle a lu. Elle a repensé aux _« pétages de plombs »_ et aux _« traumatismes
d’enfance » _qu’évoquait Jean-Philippe Desbordes. Un autre confrère, Éric Merlen, convoque les mêmes récits : _« Il disait qu’il avait été maltraité par ses parents, comme tant de bourreaux
que l’on croise aux assises. »_ Au _Canard Enchaîné_, Jean-François Julliard a_ « tout découvert au moment du procès »._ Il évoque une meurtrissure. Pascal Richard, de son côté, énumère_ «
les salauds »_ croisés au cours de sa carrière. _« J’ai même serré la main du type qui a organisé le génocide du Rwanda ! Des hommes formidables, en apparence. Donc je sais bien que les gens
ont souvent deux visages. Mais que ce soit quelqu’un avec qui on a partagé du temps, à qui on a fait confiance… » _Parce qu’il se demandait s’il n’y avait pas dans cette histoire la matière
d’un documentaire sur l’emprise, il a assisté à une partie du procès de Jean-Philippe Desbordes. Il a eu l’impression de se retrouver_ « dans un très mauvais reportage »._ LIQUIDATION J’ai
contacté Jean-Philippe Desbordes. De sa cellule, il m’a livré une lecture alternative de son itinéraire. Tout en affirmant avoir_ « quitté le métier »_ de son propre chef (_« pour des
raisons de santé ainsi que pour des raisons familiales »_), il suggère que les accusations qui lui ont valu vingt ans de prison ont été inventées de toutes pièces, dans le cadre d’un complot
fomenté par d’anciens confrères. _« J’étais loin de me douter que je me trouverais livré à de si féroces jalousies professionnelles qu’elles obtiendraient ma liquidation pour crimes
imaginaires et mon embastillement longue durée », _déclare-t-il. Un instant, il semble redevenir un vétéran du journalisme : après tant de reportages réalisés pour dénoncer des injustices,
souligne-t-il, le voici _« aux premières loges pour l’étude des abus et dysfonctionnements »_. Mais l’heure n’est plus à l’observation ni au témoignage ; Jean-Philippe Desbordes préfère
déplorer _« l’ironie de l’histoire »_ qui se serait abattue sur lui.